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Ce livre est un prolongement d’un rapport de recherche, publié en 2008, sur le travail rémunéré et la réussite scolaire chez les cégépiens. À partir de ce « socle premier », Roy élargit la perspective et veut inscrire ce portrait des cégépiens dans ce qu’il appelle « une perspective générationnelle ». L’auteur souhaite mieux faire connaître la réalité des cégépiens et déboulonner les mythes et préjugés dont seraient victimes les jeunes, préjugés qui seraient d’ordre générationnel.

Dans le premier chapitre, à partir d’une revue de la littérature, l’auteur développe la thèse de l’existence d’« un fonds commun teintant les valeurs, les comportements, les habitudes de vie et les aspirations d’une génération donnée ». Dans le cas de nos collégiens, ce fonds serait marqué par deux traits contextuels, soit la mondialisation et la révolution numérique, et par cinq traits générationnels. Une vie marquée par de multiples transitions dans la vie personnelle et professionnelle due à la rapidité des changements est le premier trait auquel s’ajoutent la non-contestation de la société et de ses règles au profit d’une recherche d’intégration et de mobilité sociale, le travail atypique, la désynchronisation des temps sociaux où travail et étude se chevauchent et, finalement, la relativité des valeurs ou l’éclatement des courants sociaux et culturels. On peut avoir des réserves sur certains de ces traits ou leurs illustrations. Par exemple, faut-il voir les changements de programme que font les étudiants comme la preuve d’un cheminement non linéaire ou comme le fait que, depuis toujours, le cégep assume une fonction d’orientation professionnelle ? Notons aussi la faible résonance de ces traits dans le reste du texte. Par ailleurs, même s’il affirme ne pas réduire l’identité des cégépiens à leurs seules caractéristiques générationnelles, ce point de vue traverse tous les chapitres du livre et la construction et l’interprétation des données, laissant de côté d’autres aspects qui auraient été très pertinents, particulièrement les références au milieu social.

Le deuxième chapitre décrit le profil général des cégépiens à partir d’un sondage (échantillon de 1 729 étudiants de 51 collèges sélectionnés de façon aléatoire en tenant compte des secteurs d’études, de la répartition sur le territoire du Québec et du type d’institutions, privées ou publiques, etc.). Nous devrions plutôt les appeler « collégiens » puisque l’échantillon comporte des élèves des collèges privés (5 %). Outre la description des variables sociodémographiques habituelles (âge, sexe, programme), l’auteur dresse des « profils » construits à partir de mesures d’association : étudiants bénéficiant du soutien parental, déterminants familiaux de la réussite, étudiants peu ou pas satisfaits d’eux-mêmes, étudiants déprimés. Roy montre l’importance de la famille pour les collégiens et le rôle déterminant de celle-ci dans la réussite et la persévérance scolaire. C’est là un apport très intéressant. On peut regretter cependant de ne voir que très rarement le poids de certains facteurs, comme la scolarité de la mère ou l’encouragement de l’un et l’autre des parents, dans la réussite et la persévérance. Il en sera malheureusement de même à travers tout le livre. Ainsi, parmi les 16 caractéristiques d’un étudiant déprimé, certaines auraient-elles plus de poids, comme de mauvaises conditions de travail ou moins d’appui des parents au plan financier ? La méthode choisie, déterminer des caractéristiques générationnelles, semble exclure ce type d’analyse et, un peu partout, provoque un malaise.

Le chapitre sur les valeurs est construit sur le même modèle. Cette fois, le poids de chacun des énoncés est présent. Ici, c’est l’interprétation des données qui cause problème. Là où Roy voit une cohérence dans les valeurs des collégiens, j’y vois de la dispersion. Aucune valeur nommée par ceux-ci ne dépasse 50 % des répondants. Les quatre premières sont respect/tolérance à la différence (46,7 %), honnêteté/franchise/intégrité/authenticité (41 %), famille (40,6 %), amitié/vie de couple (32,6 %). Toutes les autres se situent en bas de 20 %. Il examine aussi le degré d’accord des collégiens à l’égard de certains énoncés. Il est difficile de ne pas se dire d’accord avec des énoncés comme « Devenir compétent sur le plan professionnel est important pour moi », énoncé qui obtient le plus haut score. L’auteur aurait dû davantage tenir compte de la désirabilité sociale dans la formulation des énoncés et dans l’interprétation des résultats. Il conclut qu’il se développerait une tendance à la méritocratie, tendance qui s’illustrerait notamment par fait que les élèves répugnent à une note collective. On pourrait plutôt y voir l’impact de la cote R qui donne accès aux programmes contingentés. Soulignons finalement que étude/savoir/connaissance/réussite scolaire est une valeur pour 13,2 % seulement des collégiens. Si l’effort et le travail scolaire sont si importants pour eux comme l’affirme l’auteur, comment expliquer qu’ils étudient de moins en moins en dehors des cours ? C’est ce qu’il aurait été intéressant d’expliquer. La conclusion de ce chapitre, dans laquelle l’auteur avance l’existence d’une « culture commune chez les jeunes » peu importe le milieu social et même à travers d’autres sociétés occidentales, apparaît détachée des données. Il se peut que la mondialisation et le cyberespace favorisent la convergence de valeurs telles que la productivité et la consommation, mais ce n’est pas ce que montrent les données recueillies auprès des collégiens.

Les chapitres suivants sur la conciliation travail/étude et la réussite selon le genre sont intéressants et vont dans le même sens que les autres analyses sur la question. Les filles accordent plus d’importance aux études, travaillent de moins longues heures à leur emploi salarié, peuvent davantage compter sur l’aide financière et l’appui de leurs parents, de la mère surtout. Elles étudient davantage et réussissent mieux. L’auteur souligne que chez les étudiants à risque, entre 10 % et 15 % de son échantillon, on note « des clivages au plan des valeurs et des conditions sociales » (p. 84). Et on reste encore une fois sur son appétit. Au terme de son chapitre sur la conciliation études/travail, l’auteur pose trois « enjeux sociétaux » fort pertinents qui mériteraient d’être davantage explorés : le rapport à la consommation chez les étudiants, le rapport au temps – ceux-ci manquent de temps, sont « à la course », sont stressés – et le laxisme collectif devant la progression du travail rémunéré. Le dernier chapitre, « Rapport au cégep et au savoir », est également construit à partir de profils et appelle les mêmes réserves. L’auteur souligne notamment l’importance de la motivation dans la réussite scolaire. Il aurait été intéressant à cet égard que plus d’attention soit accordée à l’orientation professionnelle, un aspect fortement relié à la motivation et qui est trop souvent négligé tant au secondaire qu’au collégial.

Roy plaide, en conclusion, pour une médiation entre les générations. Selon lui, les jeunes collégiens auraient un « emplacement singulier » dans la collectivité et des médiations s’imposeraient pour rapprocher les générations. Pour ma part, ce qui me semble caractériser une partie des jeunes collégiens, c’est moins un ensemble de traits qui leur seraient spécifiques, mais plutôt un rapprochement et une concordance entre leurs valeurs et leur style de vie et celui de leurs parents – stress, manque de temps, etc. Certains semblent, au contraire, tellement intégrés à la vie adulte qu’on se demande s’ils ne sont pas en train d’escamoter leur jeunesse. Bref, même si plusieurs données sont intéressantes, même si on peut reconnaître à cette méthode du profil type une valeur heuristique, cette analyse générationnelle des collégiens ne convainc pas, ni par les méthodes utilisées, ni par les conclusions des données.