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La vie et les valeurs des baby-boomers ont fait couler beaucoup d’encre. Les portraits qui ont été brossés à différents moments de leur parcours de vie n’ont pas toujours été flatteurs, ayant même été assez incisifs, voire accusateurs. Les termes péjoratifs ne manquent d’ailleurs pas pour qualifier cette génération, née au cours des vingt années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale : génération gâtée, génération égoïste, génération parasite, etc. En fait, que ce soit dans les discours médiatiques ou dans certains discours scientifiques, cette génération dérange, fait peur, coûte cher… au point où certains observateurs en viennent à espérer qu’elle finisse par crever. Le récent ouvrage dirigé par Ignace Olazabal tranche heureusement avec cette littérature générationnelle et généralisante entourant les baby-boomers. Issu d’un colloque organisé en 2007 dans le cadre du Congrès de l’Acfas, cet ouvrage regroupe les contributions d’une quinzaine d’auteurs issus des sciences sociales et de la santé. Il a pour objectif de discuter de différents aspects sociaux de la vie des baby-boomers vieillissants, notamment de leurs conditions de vie, des représentations qu’ils ont d’eux-mêmes et de leur corps ainsi que de leurs relations intergénérationnelles.
L’ouvrage comporte trois parties. Il explore le devenir socioculturel des baby-boomers et rappelle que cette génération ne constitue pas un groupe homogène, d’importantes différences s’observant entre les premiers et les derniers nés du baby-boom et entre les différents groupes qui composent cette génération. Cette partie regroupe les contributions de Jacques Hamel, qui expose la conception que les sociologues ont développée au sujet des baby-boomers, celle de Solange Lefebvre, qui clarifie les éléments essentiels du rapport entre jeunesse et innovation ainsi que celle d’Ignace Olazabal, Laure Blein, Nancy Guberman et Jean-Pierre Lavoie, qui examinent la question de l’identité chez les baby-boomers. Particulièrement intéressante, cette dernière contribution met en lumière l’important fossé qui existe entre l’identité assignée et l’identité que s’attribuent les membres de cette génération, peu de baby-boomers se considérant comme de véritables baby-boomers, mais n’hésitant pas à qualifier ainsi certains membres de leur classe d’âge. Cela témoigne bien de la force de l’image péjorative (égoïste, gâtée, matérialiste, ingrate, etc.) qui marque les représentations sociales à l’égard des baby-boomers, y compris chez les principaux concernés.
La deuxième partie examine la question de la culture du corps et des stratégies communicationnelles propres aux baby-boomers. Elle réunit les contributions de Thomas Vannienwenhove, qui développe la question de la corporéité de l’individu vieillissant, celle de Christine Thoër et Catherine de Pierrepont qui, à travers l’étude des femmes et du traitement de la ménopause, illustrent le rôle actif que jouent les baby-boomers dans la recherche de traitements médicaux, puis celle de Joseph J. Lévy, Louis-Robert Frigault, Kim Engler et Alain Léobon, qui présentent les résultats de leur étude sur les usages sociosexuels d’Internet parmi les baby-boomers d’orientation homosexuelle et bisexuelle. Il ressort de cette deuxième partie comment certains baby-boomers se sont approprié les nouvelles technologies de l’information, non seulement pour devenir des usagers éclairés de la médecine, mais également pour poursuivre leur libération sexuelle. Il ressort également comment, ironiquement, malgré les craintes des mouvements féministes des années 1970 (et grâce à elles !), les femmes sont parvenues à apprivoiser leur corps vieillissant. En fait, et contre toutes attentes, il apparaît que les femmes de cette génération parviennent à interpréter relativement positivement les changements de leur corps dus au vieillissement alors que les hommes, de leur côté, envisagent encore assez négativement de tels changements, non seulement lorsqu’il s’agit du corps de la femme, mais également lorsqu’il s’agit de leur propre corps.
La troisième partie s’inscrit pour sa part dans la perspective des différents travaux sur les solidarités intergénérationnelles menés récemment en Europe et en Amérique du Nord. Elle offre un contraste saisissant avec l’idée selon laquelle les baby-boomers seraient une génération égoïste qui aurait complètement renié l’institution familiale. Regroupant les contributions de Nancy Guberman, Jean-Pierre Lavoie, Laure Blein, Ignace Olazabal, Julie Bickerstaff et Anne-Caroline Desplanques, cette dernière section traite du rôle d’aidant (vis-à-vis des parents ou du conjoint) et de celui de grands-parents. Elle montre que, contrairement aux stéréotypes entourant les baby-boomers, cette génération a encore à coeur de soutenir les membres de sa famille. Cela dit, il ressort que cela ne se fait pas de la même façon qu’auparavant, les hommes et les femmes de cette génération refusant d’être contraints à un seul et unique rôle et étant particulièrement revendicateurs, exigeant non seulement que leur rôle d’aidant soit reconnu à sa juste valeur, mais souhaitant également conserver le caractère ludique des relations qu’ils ont développées avec leurs petits-enfants. Reste à savoir si de tels résultats s’observent également au sein des groupes moins scolarisés appartenant à cette génération, ce que les échantillons « surscolarisés » des enquêtes mobilisées ne nous permettent pas de savoir.
Cela étant dit, à une époque où il est beaucoup question d’équité intergénérationnelle et où se multiplient les attaques à l’égard des baby-boomers, le présent ouvrage nous apparaît comme une bouffée d’air frais. Sans tomber dans la complaisance, il nous rappelle que les images véhiculées à propos de certaines générations ainsi que les comptes générationnels qui en découlent parfois ne correspondent pas toujours à la réalité des individus qui composent ces générations. Plutôt qu’une image réductrice et généralisante des membres de cette génération, cet ouvrage nous fait voir des individus qui, bien que nés au cours d’une même période et partageant un certain nombre de valeurs, n’ont pas connu un destin identique et ne s’apprêtent pas à vieillir de la même façon. Incomplet en raison du nombre limité de thématiques abordées et de certaines limites inhérentes aux méthodologies employées, c’est en fait l’amorce d’un chantier de recherche que nous propose cet ouvrage, un chantier qui devrait nous permettre, à terme, de mieux connaître les membres de cette génération. À l’heure où les appels à la renégociation des termes du pacte intergénérationnel se font de plus en plus nombreux pour faire face aux défis que nous pose le vieillissement démographique, une telle connaissance, objective et exhaustive, apparaît essentielle.