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L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) subit depuis quelques années de profonds changements qui l’ont amenée – tout autant ses membres que la communauté universitaire et les praticiens oeuvrant dans le domaine – à s’interroger quant à son orientation future, sinon à repenser fondamentalement ses buts et ses modes opératoires. Que ce soit à cause de la mondialisation économique et culturelle qui accélère la transmission de l’information et tend à exposer et à rapprocher les cultures, ou encore de sa conséquence géoculturelle selon plusieurs, soit l’émergence d’un monde multipolaire, plurilingue et multiculturel, la première décennie du XXIe siècle a entraîné un regain d’intérêt et une remise en question de l’OIF d’un bout à l’autre de la planète. Voilà ce qui explique le nouvel intérêt envers la Francophonie comme objet d’études des relations internationales (à l’Institut pour l’étude de la Francophonie et de la mondialisation par exemple) et, plus précisément, le renouveau de l’intérêt pour l’avenir de la Francophonie (voir le numéro d’automne 2008 de la Revue internationale et stratégique), notamment en matière de résolution de conflits (voir le Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix). C’est également dans cette perspective que se situe le recueil d’essais dirigé par Louise Beaudoin et Stéphane Paquin, dont le titre ne laisse pas de doute quant à l’objet d’étude des auteurs : Pourquoi la Francophonie ? Mais bien plus que de répondre à cette question, les dix-sept collaborateurs à cet ouvrage collectif exposent, chacun à sa manière, les principaux défis de l’heure auxquels fait face la Francophonie et quelques remèdes pour y faire face. Ce qui laisse sous-entendre que le principal défi que pose la mondialisation pour la Francophonie est celui d’articuler une nouvelle raison d’être.

D’un côté se trouvent ceux qui, à l’instar du secrétaire général Abou Diouf, souhaitent que la Francophonie incarne « une certaine vision des relations internationales fondée sur le multilatéralisme… le dialogue et le respect de la diversité » (p. 16). Pour ce faire, il s’agit de repositionner le fondement même de l’OIF, à savoir le français, sur l’échiquier mondial, face à ce que Stéphane Paquin qualifie d’« hyperlangue » et d’« hyperculture » anglo-américaine. Catherine Tasca craint ainsi rien de moins qu’une « cannibalisation par ce modèle unique », auquel elle oppose la Francophonie, qui, par la promotion et la diffusion de la langue française, de la mobilité au sein de la francophonie internationale et par l’entremise des médias, peut empêcher l’uniformisation culturo-linguistique en cours. Dans cette même veine, d’autres, dont Pierre Lampron, souhaitent que l’OIF prenne véritablement le virage numérique et s’impose comme acteur majeur de la mondialisation culturelle, par l’entremise notamment de TV5, par l’implantation d’un réseau interuniversitaire numérique à travers la francophonie, par une société de développement des entreprises culturelles francophones, ou encore par l’enseignement accru du français. Il s’agit donc d’affirmer, sinon de préserver l’identité francophone face à la mondialisation anglo-américaine, c’est-à-dire de contrer la logique marchande dénoncée par Jean-François Lisée au profit d’une logique linguistique. À la convention sur la diversité culturelle, à laquelle la Francophonie a largement contribué, doit ainsi suivre un traité sur la diversité linguistique.

D’autres misent davantage sur la politisation progressive de l’OIF et souhaitent que celle-ci poursuive en ce sens en devenant encore plus active en matière de promotion et de respect des droits de la personne ainsi que de prévention et de résolution des conflits. Françoise Massart-Piérard vante ainsi la « structure relationnelle » unique de l’OIF, qui lui permet selon elle de s’imposer comme médiateur et de développer une culture de la paix grâce à sa position géoculturelle particulière et à sa proximité avec la société civile. Similairement, Michel Guillou estime que la Francophonie peut incarner un nouveau dialogue des cultures et s’établir comme antidote pacifique à une guerre des civilisations anticipée. Plus encore, Jacques Frémont juge que la promotion et le développement de la démocratie, entre autres buts politiques, représentent la valeur ajoutée de l’organisation, et déplore ainsi le manque de capacité et de volonté d’intervenir dans les affaires internes des États fragiles.

Une troisième perspective, plus fraîche et contrastée, est offerte par Katia Haddad, qui remet en question quelques idées reçues. La diversité linguistique, note-t-elle avec justesse, s’est faite sans la Francophonie. Elle ajoute, d’une manière qui répond à quelques collaborateurs à l’ouvrage, que « l’essentiel de la stratégie francophone consiste en une attitude défensive face à l’anglais, c’est-à-dire face aux États-Unis » (p. 185). Coup de grâce aux tenants de la seconde perspective, politique celle-là, elle écrit : « Incapable de promouvoir le ‘parler français’, incapable de répondre à la demande de français de ses membres fondateurs […] la Francophonie décide de se rabattre sur une ‘Francophonie politique’ ». Or, interroge-t-elle, en quoi la langue française est-elle davantage porteuse de démocratie que la langue anglaise ? De surcroît, à quoi bon mettre en place un doublet aux Nations unies ? Haddad dénonce ainsi la stratégie défensive prônée par plusieurs autres auteurs et remet en question le fondement même de leur logique.

Trois perspectives semblent ainsi être exposées dans cet ouvrage sur l’avenir de la Francophonie : la Francophonie comme alternative à une mondialisation anglo-américaine, la Francophonie comme acteur politique, voire militaire, et la Francophonie comme acteur « offensif » en matière de promotion de la diversité linguistique et culturelle. Si certains voient dans cette troisième voie celle de l’avenir, Haddad nous rappelle qu’il est impératif de demeurer critique envers toute approche défensive visant à ériger le français au-dessus d’autres langues et cultures. Pourquoi la Francophonie ? arrive à un moment opportun puisque l’OIF semble être à la croisée des chemins. Les nombreux essais que contient l’ouvrage offrent maintes pistes de réflexion qui contribueront certainement à mieux repenser l’avenir de l’organisation. Mis à part un texte de Bruno Maltais qui trace un bref bilan historique de l’OIF, l’ouvrage est, dans son ensemble, destiné essentiellement à un public initié qui a à coeur l’avenir de la Francophonie.