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Comme son titre l’indique, ce livre est centré sur la dimension politique de la construction des agglomérations, contrastant deux études de cas : Rennes et Saguenay. Cette attention sur la dimension politique au niveau de l’agglomération apporte une contribution importante aux études urbaines au Québec et au Canada (je me limite surtout à l’analyse du cas de Saguenay dans cette recension). Beaucoup d'études traitent de la dimension politique, mais généralement du point de vue des gouvernements qui imposent les fusions municipales, de la contestation publique face aux fusions et de l’impact sur la livraison des services publics. Les acteurs centraux sont souvent les ministres, les citoyens et les fonctionnaires. Mais, dans le cas de la recherche d’Anne Mevellec, les acteurs centraux sont les maires. Ils ont dominé l’organisation interne des nouvelles agglomérations et, comme elle le constate fort justement, le secteur institutionnel est un des seuls secteurs où les municipalités ont un contrôle complet, et les maires ont gardé jalousement ce contrôle. En se centrant sur les maires, elle explique comment, dans le processus de création de la nouvelle agglomération, le maire a perdu le pouvoir par rapport aux ministres, au public et aux fonctionnaires (ce qui explique les études décrites plus tôt) pour devenir des intercesseurs tentant de défendre les intérêts de leur territoire et de « leur monde ». Mais, avec leur rôle de défense de leur territoire, ils ont réussi à être des acteurs importants.
Le rôle central des maires dans le processus de construction de l’agglomération est particulièrement utile pour notre compréhension du développement urbain, car les études urbaines, ici, insistent beaucoup sur le fait que notre modèle institutionnel est un modèle de « maire faible ». Cela est vrai, mais Anne Mevellec montre comment les maires utilisent leurs ressources pour tenter de légitimer leur position, en jouant un rôle de lobbyiste pour leur région mais également en créant, ou recréant, une histoire régionale. Le cas de Saguenay montre ce qui fait le succès des maires : une capacité de performance et une crédibilité. Mevellec réussit à nous convaincre, à travers son analyse riche et nuancée du rôle des maires, de l’intérêt théorique et pratique d’une analyse du métier d’élu.
Finalement, même si mon attention a été centrée sur l’exemple de Saguenay, le livre est important pour l’analyse comparative. Encore là, nous avons beaucoup insisté sur la particularité de notre modèle du gouvernement municipal (le peu d’autonomie, l’absence formelle des partis politiques nationaux, etc.), mais le livre montre la pertinence de tenir compte de ces facteurs en analysant comment différents systèmes tentent de résoudre le même défi : trouver des pratiques et des institutions pour bien gouverner les agglomérations urbaines. À ce niveau, la comparaison est très éclairante, car en voyant comment une autre société a pensé leur action, cela nous permet de mieux comprendre nos choix. Ce qui peut nous décevoir est la conclusion de Mevellec : ni l’une ni l’autre des réformes décrites n’a vraiment modifié le fonctionnement du système municipal de façon fondamentale. Cette déception ne vient pas du livre mais plutôt de la constatation de la très grande difficulté d’apporter des changements importants dans la gestion du palier municipal. Le mérite du livre est d’avoir démontré cela à travers une analyse fine. Un livre à lire.