Voilà un livre fort intéressant pour qui cherche à objectiver une part du phénomène religieux au Québec en lien avec la littérature. Cécile Vanderpelen-Diagre propose une brève synthèse qui, si elle ne peut se substituer aux ouvrages plus fouillés d’analyses d’oeuvres, de groupes d’auteurs ou de périodes historiques, a le mérite d’aller à l’essentiel et de remémorer les grands écrits de notre littérature tout en réfléchissant à la spécificité de ce champ dans le Québec des années 1920 à 1960. Cherchant à faire oeuvre de mémoire – le titre l’indique – l’auteure rappelle les grands jalons de la littérature qui, de L. Groulx à C. Roy, de L. Dantin aux écrivains de la revue La Relève, de la création de L’Hexagone à la revue Cité libre, auraient tenté de définir la condition religieuse de l’homme d’ici. L’ouvrage de Vanderpelen-Diagre cherche d’abord à réfléchir un problème historique particulier : celui de la naissance et de l’institutionnalisation de la littérature religieuse et, qui plus est, dans un pays de la catholicité – où l’« Église trouve sa cohérence et ses assises […] au moment où, dans les autres pays francophones, elle doit faire face à la sécularisation des institutions et à une perte de son influence » (C. Vanderpelen-Diagre, « À l’ombre des clochers : le monde catholique et la littérature au Québec (1918-1939) », Revue d’histoire de l’Amérique française, 58, 1, 2004 : 11). Inspirée par ses recherches passées – notamment celles effectuées pour la rédaction de son livre Écrire en Belgique sous le regard de Dieu : la littérature catholique belge dans l’entre-deux-guerres, l’auteure est d’abord frappée par la pauvreté, sinon l’absence de la littérature catholique au Québec. Le cas québécois n’a rien à voir avec celui de la Belgique, moins encore avec celui de la France, car dans un cas comme dans l’autre, la littérature catholique profiterait à la fois d’un dynamisme et d’une autonomie plus considérables de la part des laïcs et d’une situation historique et idéologique démarquant assurément ce champ littéraire des autres. Selon elle, la question se pose ainsi : « comment, dans un marché du livre cadenassé, une littérature – fût-elle d’inspiration chrétienne – non assujettie aux stricts canons catholiques, peut-elle surgir ? Quelle physionomie la littérature d’un sous-champ de littérature restreint […] peut-elle présenter ? » (p. 17). Autrement dit, comment une littérature catholique indépendante – lire ici essentiellement laïque et, d’une certaine manière, en rupture avec l’orthodoxie catholique – a-t-elle pu surgir d’un monde jugé clos sur lui-même où, comme le disait Nicole Gagnon, l’ensemble de l’expérience était enserrée par la culture catholique (voir, notamment, Jean Hamelin et Nicole Gagnon, Histoire du catholicisme québécois, le XXe siècle, tome 1, Montréal, Boréal Express, 1984) ? Pour Vanderpelen-Diagre, la quasi-absence de la littérature catholique au Québec provient aussi bien de l’absence de débats (les polémiques modernistes trouvent peu de suite sur le continent américain), du manque d’« émulation intellectuelle » (p. 35) qui en résulte, du peu de place donnée au laïcat, du contrôle ecclésial, de la censure (et de l’autocensure), que du manque d’adversaires idéologiques. À différents degrés, tous provoquent un manque de distanciation entre religion et institution catholique. S’il est vrai qu’il faudra attendre Le temps des hommes (1956) d’André Langevin pour voir une oeuvre romanesque « hors des voies toutes tracées d’une religiosité habitudinaire » (Pierre de Grandpré, « Notre civilisation. L’inquiétude spirituelle et son expression dans les lettres récentes », L’Action nationale, mai 1956, p. 870), encore faut-il convenir de la profondeur de l’empreinte du catholicisme au sein de toute la littérature canadienne-française. …
Cécile Vanderpelen-Diagre, Mémoire d’y croire. Le monde catholique et la littérature au Québec (1920-1960), Québec, Éditions Nota Bene, 2007, 150 p.[Record]
…more information
É.-Martin Meunier
Département de sociologie et d’anthropologie,
Directeur de recherche, CIRCEM,
Université d’Ottawa.
mmeunier@uottawa.ca