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Ce magnifique catalogue en couleurs accompagne une exposition organisée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, mais présentée seulement à Montréal, en 2009-2010. Durant la Seconde Guerre mondiale, plusieurs éditeurs du Québec avaient comblé le vide laissé par les activités restreintes de nombreuses maisons d’édition parisiennes durant l’Occupation hitlérienne. La France était pratiquement isolée du reste du monde libre entre 1940 et 1945, et le blocus empêchait beaucoup d’échanges culturels et commerciaux, y compris pour les livres (p. 72). Or, une disposition inattendue de la Loi canadienne des mesures de guerre permettait aux éditeurs situés au Canada de réimprimer des ouvrages étrangers et de conserver provisoirement une partie de leurs droits d’auteur pour être ensuite versés aux ayants droits, une fois le conflit terminé (p. 17). L’impact de cet « Arrêté en conseil » fut significatif, non seulement pour les écrivains québécois et la littérature canadienne qui pouvaient désormais occuper des rayons autrefois alimentés par des ouvrages venus de France, mais également pour le monde de l’édition localisé à Montréal. On réimprima au Québec d’abord des manuels scolaires, des grammaires, mais bientôt des romans et des ouvrages pieux originellement venus de France. Une « Ligue des éditeurs canadiens du livre français » fut créée en 1943, supportée par des maisons comme Fides, Beauchemin et Bernard Valiquette. On publia chez différents éditeurs montréalais les premiers ouvrages de Félix Leclerc, d'Alain Grandbois, de Gabrielle Roy, mais aussi des oeuvres de la littérature française: Balzac, Baudelaire, Victor Hugo, Georges Bernanos, Stéphane Mallarmé, Louis Aragon, ou encore des oeuvres de Fernand Léger. Des cas de coédition entre deux pays se produisirent : ainsi, le livre Études de sociologie contemporaine de Roger Caillois fut publié conjointement par les Éditions Bernard Valiquette (à Montréal) et Quetzal à Mexico. Mais une fois la guerre terminée, beaucoup d’éditeurs montréalais connurent le déclin et firent face à l’indifférence de la critique parisienne. Pourtant, la France d’après-guerre n’avait plus les infrastructures ni même le papier pour soutenir la demande de nouveaux livres. Et comme l’expliquait l’éditeur montréalais Lucien Parizeau en 1945, ce sont les réseaux de diffusion des éditeurs montréalais qui ont véritablement permis une percée significative du livre français en Amérique du Nord au début des années 1940, y compris aux États-Unis, en y décuplant le nombre de titres vendus annuellement sur notre continent. Cette demande exceptionnelle de livres en français s’expliquait en bonne partie par la présence de nombreux exilés européens à New York durant l'Occupation.
La documentation et l’iconographie de cet ouvrage sont exemplaires, autant que les qualités éditoriales. On y voit des couvertures de nombreuses publications rares (une réédition montréalaise du Petit Prince de Saint-Exupéry datant de 1943 ou encore, la page frontale du quotidien Le Canada faisant écho à la conférence donnée à Montréal par Jean-Paul Sartre en 1946). On pourrait reprocher à ce catalogue son aspect succinct; mais il gagne par son caractère synthétique. Il ne faudrait surtout pas négliger les annexes qui suivent la bibliographie et la chronologie: dans la correspondance personnelle adressée à Jacques Michon, et particulièrement cette lettre datée de 1986 dans laquelle Claude Hurtubise soutient que, compte tenu de l’aide apportée par le Canada pour la reconstruction de l’Europe en ruines après 1945, le gouvernement fédéral aurait très bien pu exiger une place particulière pour les industries culturelles du Québec en France, comme les États-Unis l’avaient fait alors avec leur « Plan Marshall ». Au-delà de l’intérêt évident de ce beau livre pour la sociologie de la littérature et les études littéraires en général, les chercheurs en histoire des idées, en études culturelles et en études comparatives trouveront dans Les éditeurs québécois et l’effort de guerre, 1940-1948 une documentation unique sur une facette méconnue de la Seconde Guerre mondiale.