Je me suis demandé si j’étais la bonne personne pour proposer ces notes de lecture sur un sujet aussi peu relié aux affaires. Après quelques instants d’hésitation, je me suis convaincu que les problèmes que mettent de l’avant les artistes et les poètes sont souvent le produit des dysfonctions du monde économique et que le regard d’un chercheur dans ce domaine, bien qu’inhabituel, serait approprié et peut-être intéressant. Ce livre mérite l’attention. Il décrit à travers la chanson francophone engagée les tourments dans lesquels se débattent toutes les communautés confrontées à la mondialisation des affaires. L’évolution des affaires et en général de l’économie crée des situations et des conflits sociaux qui mettent en cause l’équilibre de la société dans son ensemble. À mon sens jamais le déséquilibre n’a été aussi grand. La perte de sens s’est accentuée de manière dramatique depuis les années soixante et la décolonisation. Après avoir cru que les remises en cause de 1968 et la fin de la guerre du Viêt-Nam allaient ouvrir une ère nouvelle de liberté et d’équilibre social, on a assisté à une détérioration accélérée des rapports entre groupes sociaux à l’intérieur d’un même pays et entre pays, auxquels beaucoup attribuent les dangers de la vie aujourd’hui. Les poètes et la chanson sont un remarquable reflet de cette évolution et le livre qui nous est proposé en est la meilleure des illustrations. Lise Bizzoni, coordonnatrice scientifique du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et Cécile Prévost-Thomas, membre associée au groupe de recherche jazz, chansons et musiques populaires actuelles de l’observatoire musical français de l’Université Paris IV-Sorbonne, proposent dans ce livre sept textes qui traitent de divers aspects de la chanson québécoise et française engagée. Ces textes traitent de la chanson en prenant des perspectives disciplinaires souvent différentes, allant de la musicologie à la littérature, à l’histoire et à la sociologie. Mais tous les auteurs sont préoccupés par le rôle social de la chanson et le révèlent à travers les multiples lunettes utilisées. Pour les textes qui traitent de la chanson québécoise, le texte d’Andrée Deschesneaux sur « la structure musicale comme support de l’engagement » est l’un des plus ambitieux ; il est aussi très novateur, suggérant que la façon dont la musique est construite est une expression originale qui soutient la lutte que mènent les artistes engagés. La plupart des autres textes se concentrent sur les origines ou sur une analyse des caractéristiques de la chanson engagée. Sandria Bouliane montre le rôle de l’industrie de la phonographie comme véhicule de développement de la chanson francophone québécoise. Elle constate que la « chanson populaire canadienne-française, rendue accessible au public par l’industrie phonographique se singularise par le choix de la langue et des sujets qu’elle traite ». Luc Bellemare met l’accent sur le folklore comme « arme de persuasion dans la musique populaire » et contraste les pratiques « avant et après l’âge d’or des chansonniers ». Il affirme, après une analyse des chansons de l’abbé Gadbois, puis de Loco Locass, Mes Aïeux et les Cowboys fringants, que « le recours aux couleurs folkloriques dans le texte et l’interprétation musicale des chansons québécoises de grande consommation d’avant et d’après la Révolution tranquille influence le choix de valeurs nationales des Québécois, tout en nourrissant l’engagement politique et social ». Dany Saint-Laurent étudie plus spécifiquement le groupe Loco Locass et la création de la « rapoésie ». Ce groupe se définissait comme à l’interface d’un champ de production littéraire, la poésie, et d’un champ de production musicale, le rap. Mais en fait, …
Lise Bizzoni et Cécile Prévost-Thomas, La chanson francophone engagée, Montréal, Les Éditions Triptyque, 2008, 185 p.[Record]
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Taïeb Hafsi
Professeur titulaire de la chaire Walter J. Somers
de management stratégique international,
HEC, Montréal.
taieb.2.hafsi@hec.ca