Article body
Le colloque à l’origine de cette publication se voulait provocateur avec le titre : Born in the USA… L’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) avait choisi, pour sa 2e rencontre annuelle, de discuter de l’influence des États-Unis sur les médias québécois. L’idée n’était pas originale, car ni la réalité décrite ni le questionnement ne sont véritablement nouveaux : l’influence du modèle américain sur les médias d’information et le divertissement québécois a maintes fois été documentée et démontrée. Cette influence s’est traduite, et elle continue de le faire, tant dans la forme que dans les contenus des médias. Nos journaux ressemblent aux journaux des États-Unis, pas aux journaux français, et nos émissions de télévision aussi. Le cinéma québécois est distinctif à plusieurs égards, mais le serait-il encore à moyens égaux avec les productions américaines ?
Il n’y a aucun doute non plus qu’un engouement populaire existe pour les productions culturelles originaires des États-Unis ou conçues à l’américaine au Québec comme dans la plupart des pays du monde. L’attrait du modèle américain n’explique pas seulement ce choix des diffuseurs télévisuels. Non seulement les productions achetées aux États-Unis coûtent une fraction du prix d’une production locale, mais elles bénéficient de plus d’importants véhicules promotionnels qui accompagnent ces émissions. Comment, dans ces conditions, les autorités gouvernementales et réglementaires canadiennes – puisqu’il s’agit d’un champ de compétence en grande partie fédérale – peuvent-elles continuer à reposer uniquement sur la défense de l’intégrité de la culture canadienne face à son géant voisin ? Le ressort culturel nationaliste qui prévalait lors de l’élaboration de certaines politiques culturelles par le gouvernement canadien suffit-il ? Que font les pouvoirs publics québécois ? Que décident les entreprises ? Que souhaitent les consommateurs ? Voilà des questions, entre autres, qu’on aurait aimé voir traiter dans ce livre au titre ambitieux.
D’ailleurs, le titre de l’ouvrage est en porte-à-faux. Les médias québécois et leur lien ou non avec les États-Unis ne sont pas l’objet d’étude de tous les intervenants. En fait, seulement une partie congrue de l’ensemble s’y intéresse. Le mélange proposé de textes qui portent, évidemment, sur l’influence des États-Unis, mais dans des sphères tellement différentes les unes des autres, noie en quelque sorte le propos de l’ensemble. De Thomas Paine au monde arabo-musulman, en passant par le Cirque du Soleil ou la crise de la télévision, le lecteur cherche constamment ses repères.
Quelques contributions se distinguent toutefois, car l’intérêt de l’ouvrage tient sans doute dans ce moment charnière de l’histoire des États-Unis où cette réflexion a lieu, soit tout juste à la fin de la période Bush, un moment historique de détestation des États-Unis à travers le monde et au Québec. Cela met en lumière notamment combien le journaliste de La Presse Richard Hétu est en lien avec les États-Unis dont il traite dans son journal. Il annonce – prédit presque – la fin de l’ère Bush et l’avènement d’une nouvelle lune de miel planétaire avec le prochain président américain… deux ans avant l’élection de Barak Obama. La critique sévère des errements de la presse américaine de cette période par l’éditeur de Harper’s Magazine, John R. MacArthur, est également réconfortante. Aux États-Unis, la complaisance des médias devant les affirmations pourtant démenties concernant de supposées armes de destruction massive en Irak et les reportages frauduleux de certains grands médias américains alimentent une vaste crise de confiance sur laquelle la réflexion reste à faire. Si influence il y a dans ce domaine également, une hypothèse plausible, peut-être entraîne-t-elle aussi une partie de la crise actuelle des médias québécois. L’ouvrage n’ouvre pas cette porte cependant, ni d’autres susceptibles d’alimenter la réflexion en cette période cruciale pour les médias.
En tant que champ d’études, la communication à l’américaine est une nébuleuse, pour reprendre le terme du français Dominique Wolton. Tout a tendance à s’y confondre : information, communication, psychosociologie de la communication… Mais dans l’étude des médias d’ici, confrontés comme jamais à des difficultés de tous ordres, on souhaiterait s’interroger sur l’influence de ce paradigme américain lui-même sur ces recherches.