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Examiner les notions de citoyenneté et de représentation sous l’éclairage critique du genre dans le contexte spécifique de la francophonie européenne et québécoise, tel est l’objectif poursuivi par l’ouvrage. Ce recueil rassemble neuf textes issus de l’atelier « Genre, citoyenneté et représentation » tenu en novembre 2005 à l’Université de Lausanne dans le cadre du premier Congrès international des associations francophones de science politique. La direction de l’ouvrage est assurée par des figures connues de la recherche et de l’enseignement en science politique, notamment pour leur contribution aux questions concernant la citoyenneté des femmes et leur rapport à la politique. Comme le rappellent les directrices de la publication, les deux grandes traditions de la pensée politique – le républicanisme et le libéralisme – se sont construites en excluant les femmes de l’espace public et en leur refusant l’accès à la citoyenneté. Le citoyen abstrait supposément « libre de tout marqueur biologique et/ou social » (p. 5) qui émerge du processus historique d’individuation est en fait essentiellement masculin. Encore aujourd’hui, la citoyenneté et la représentation demeurent « des institutions sculptées par le genre » (p. 19) comme l’illustrent les nombreux débats soulevés par les enjeux entourant la participation des femmes aux institutions politiques.
La première partie de l’ouvrage, consacrée à la notion de citoyenneté, regroupe des contributions très diversifiées. Dans un premier chapitre, Bérengère Marques-Pereira compare les processus d’individuation et de subjectivation des femmes en Europe occidentale et en Amérique latine en insistant sur les trajectoires nationales spécifiques qui donnent sens « aux rapports sociaux et aux rapports de force sur lesquels s’est construite la citoyenneté » (p. 39). L’auteure y souligne la tension entre égalité et différence présente dans les débats entourant la représentation politique des femmes. Réjane Sénac-Slawinski présente les résultats d’une recherche portant sur la façon dont les individus concilient, dans l’univers de leurs représentations, l’expérience de la différence sexuée et le principe de l’égalité citoyenne. Il s’en dégage deux grands modèles, l’un fondant « le bonheur des citoyens et l’équilibre social sur le respect de l’ordre établi » et l’autre posant « le rapport critique à la réalité comme une condition de l’émancipation » (p. 60).
David Paternotte propose d’inclure dans les études de genre les questions liées aux homosexualités et, plus largement, aux désirs et aux sexualités. Dans cette perspective, il s’interroge sur l’émergence et le contenu de la revendication d’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels à partir des concepts d’inclusion et de citoyenneté. S’appuyant sur des thèses de Judith Butler, l’auteur interprète la volonté d’ouvrir le mariage civil aux unions de même sexe comme une « tentative de resignification de celui-ci, susceptible de modifier les rapports de pouvoir sous-jacents » (p. 76). Isabelle Giraud opérationnalise le concept de citoyenneté dans les recherches empiriques sur les politiques de genre à partir de la théorie de la régulation. En inscrivant le concept de citoyenneté dans un temps historique, la théorie de la régulation permet de décrire et d’évaluer l’évolution des configurations institutionnelles et de comparer divers espaces politiques. L’auteure identifie quatre registres discursifs possibles en rapport avec la façon de « concevoir l’État, la société, l’égalité, les identités et l’organisation du politique » : un registre traditionaliste, un registre libéral, un registre institutionnaliste et, enfin, un registre autogestionnaire et révolutionnaire (p. 92).
La seconde section de l’ouvrage rassemble cinq textes consacrés plus spécifiquement à la question de la représentation. On y retrouve trois contributions portant sur l’impact des règles institutionnelles sur la participation politique des femmes : une comparaison de la représentation politique des femmes en France et en Allemagne tenant compte à la fois des différences institutionnelles et des liens existants entre champ politique et société (Catherine Achin), une analyse empirique de l’impact du scrutin majoritaire sur l’élection des femmes en Suisse (Thanh-Huyen Ballmer-Cao et Sarah Bütikifer) et une comparaison France-Québec des effets politiques du système uninominal sur la représentation parlementaire des femmes (Mariette Sineau et Manon Tremblay). Ces trois textes montrent que les règles institutionnelles ont, certes, un effet sur la participation politique des femmes mais que le contexte politique et sociétal, l’interaction entre ordre politique et ordre social ainsi que les stratégies individuelles et les mobilisations collectives ont également un impact favorable ou défavorable sur la présence des femmes au sein des différentes institutions politiques. Cette section propose une analyse discursive de la nature des controverses suscitées en France et en Suisse par la proposition de mise en place de quotas en s’attardant à trois aspects principaux des discours, soit la problématisation, l’organisation politique et les catégories de genre (Lea Sgier). L’auteure y souligne l’absence, dans les questions entourant la parité, de débats sur les rapports de pouvoir qui structurent les rapports sociaux entre les femmes et les hommes : « La plupart du temps, ces questions sont restées invisibles, cachées derrière des questions plus nobles telles que le devenir de la nation (en France), ou plus techniques, telles que la faisabilité pratique d’une politique de quotas (en Suisse) » (p. 188). L’ouvrage se termine avec la contribution de Chantal Maillé qui s’intéresse aux stratégies des mouvements de femmes visant à modifier les termes de la représentation politique des femmes dans quatre contextes culturels nord-américains différents. L’auteure y constate que la majorité des actions entreprises par les groupes de femmes pour favoriser la participation des femmes en politique ont cherché à combler un « déficit » chez les femmes plutôt qu’à remettre en question et modifier les structures qui perpétuent cette inégalité.
Malgré l’absence d’un fil directeur qui aurait assuré une plus grande cohésion à l’ouvrage, la richesse des contributions proposées illustre bien la pertinence et la nécessité de poursuivre la réflexion autour des questions de citoyenneté et de représentation sous l’angle des rapports sociaux de sexe. Les questionnements proposés dans les différents textes permettent d’enrichir les débats, notamment parce qu’ils insistent sur la nécessité de repolitiser les enjeux de la participation citoyenne des femmes au-delà de la question du nombre de femmes présentes au sein des institutions politiques.