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En dépit de son titre général, cet ouvrage tire son unité et son intérêt premier de l’action menée pendant une quinzaine d’années par une équipe pluridisciplinaire dont les travaux avaient pour objectif de soutenir des interventions diverses autour de la promotion de l’engagement paternel. Née au sein d’un groupe de recherche, le GRAVE-ARDEC, visant la prévention de la victimisation des enfants, l’équipe ProsPère qui se fait le promoteur de recherches sur l’engagement paternel s’inscrit aussi dans le prolongement du rapport Un Québec fou de ses enfants (1991), qui en préconisait la mise sur pied. Participant au nouveau courant de recherche sur la paternité qui émerge au milieu des années 1980, les activités de ProsPère sont inspirées des approches en promotion de la santé largement présentes dans les actions sociales et communautaires. Elles s’appuient plus précisément sur la perspective écologique de Bronfenbrenner (1979) qui vise à prendre en compte dans l’intervention différents niveaux du système social. Partant d’un diagnostic sur l’absence des hommes dans les programmes de santé et dans les organismes et politiques concernant les familles et les enfants, la recherche développée par le groupe vise à remettre la paternité au coeur de l’action publique.
Au cours des sept premières années, les chercheurs de ProsPère vont faire appel à des acteurs de milieux communautaires pour développer un programme d’intervention autour de l’engagement paternel qui correspond aux besoins de deux communautés différant par leur environnement géographique et institutionnel, mais comprenant toutes deux une forte proportion de familles sous le seuil de pauvreté. Toute la section 2 (Les pratiques d’intervention) porte sur l’élaboration et l’évaluation de ce programme qui va donner lieu par la suite à des actions et des formations dans les autres régions du Québec ou encore à des recherches plus circonscrites à des clientèles considérées vulnérables : jeunes pères inscrits à des programmes d’intégration à l’emploi, pères détenus, pères vivant un processus migratoire (section 3 : Pères en contexte de vulnérabilité). La présentation de cette recherche-action, de ses retombées et de ses limites est au coeur de l’ouvrage. Cette expérience novatrice méritait sans doute amplement de laisser des traces dans une publication. Les auteurs ont aussi voulu présenter les connaissances générales sur la paternité et l’engagement paternel, qui nourrissent leur intervention.
Un premier chapitre ébauche l’arrière-plan sociohistorique de la paternité au Québec mais plusieurs des périodes évoquées demeurent floues ; il offre cependant des repères sur les changements sociaux et les législations contemporaines où se situent les changements récents de la paternité et des rôles paternels. Les autres chapitres de la première section rassemblent des bilans de recherche sur l’engagement paternel, sa conceptualisation, l’influence spécifique du père sur le développement des enfants ; le dernier porte sur la coparentalité, un concept qui réintroduit la mère, rouage essentiel du système familial même après les ruptures de couple. Intéressante pour qui veut saisir les bases conceptuelles des programmes mis en place, cette section est bien longue, en particulier la revue de littérature du chapitre 3, malgré ses qualités d’analyse et de réflexion critique. En dépit de tout le relief accordé à la diversité de l’exercice de la paternité, à la prise en compte de ses contextes et à l’influence du milieu sur l’engagement paternel, la diversité des styles paternels demeure peu évoquée dans cet ouvrage tout comme les pères d’ailleurs auxquels sont destinés ces programmes. Il faut attendre la section 3 et des recherches qualitatives sur des pères vulnérables, pour s’approcher davantage de la paternité comme expérience. Les commentaires des chercheures françaises suivant chaque section réitèrent l’importance de la diversité des styles paternels, ainsi que de la nature du modèle normatif de la notion de père engagé tout comme la difficulté d’aborder la paternité en dehors des systèmes familiaux mais aussi des représentations. Ajoutons que les études ne touchent que des milieux définis par des critères de vulnérabilité, ce qui ne permet pas d’aborder la paternité sous tous ces angles. Bien que cette recherche y apporte une contribution, une sociologie de la paternité reste à faire.
Nous aurions tort cependant de considérer cette recherche sur un terrain qui n’est pas le sien. Un sous-titre précisant sa nature de recherche-action aurait mieux fait valoir l’envergure des actions entreprises et les enjeux sociaux d’ensemble que reprennent plusieurs articles et commentaires. C’est pourquoi la dynamique de terrain avec les interactions entre les acteurs participant à l’expérience, les relations entre chercheurs et intervenants prennent autant d’espace et font même l’objet de chapitres particuliers. La description en section 2 des programmes et activités nombreuses mises sur pied dans deux milieux sociaux laisse entrevoir en effet des actions originales, diverses selon les milieux. Cependant l’évaluation quantitative de leurs impacts sur deux cohortes de pères ayant suivi ou non ces activités apporte des résultats qui suscitent des interrogations, autant qu’ils confirment certains effets du programme. Par ailleurs, l’absence de comparaison des impacts selon les milieux où s’est déroulée la recherche-action réduit la portée actuelle de ces évaluations. On peut espérer enfin que les analyses qualitatives prévues apporteront quelques explications sur l’appropriation différente du programme selon les milieux, avec l’élargissement de son action à d’autres territoires. En effet, la section consacrée au transfert de connaissances évoque les applications subséquentes du programme au Québec, au Canada et en France.