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Se livrer à un exercice de prospective n’est pas une affaire simple. C’est d’ailleurs ce qu’affirment la majorité des auteurs de cet ouvrage qui tentent de tracer des scénarios d’avenir pour les familles québécoises. La question est pertinente du point de vue de l’élaboration des politiques publiques, elle est toutefois hasardeuse compte tenu de la complexité des phénomènes démographiques, économiques et sociologiques qui sont liés à la famille, surtout dans un contexte où le passé semble de moins en moins garant de l’avenir bien que les décisions politiques passées et actuelles puissent influer sur le cours des choses. Se dessinent des tendances plutôt optimistes, comme l’amélioration de la position relative des jeunes familles avec enfants sur le plan socioéconomique, ou plutôt pessimistes, comme l’importance du nombre d’enfants nés à la fin du XXe siècle qui grandissent dans des conditions moins qu’optimales. L’analyse de ces tendances repose sur des changements marqués des familles au cours des dernières décennies : diversification des types de familles, des modes de vie de leurs membres et des pratiques culturelles, réduction de la taille des familles et du temps familial, difficile conciliation avec le travail, situation juridique de la famille, etc., autant de changements sur lesquels se penchent les auteurs et qui soulèvent d’ailleurs de nombreuses questions quant à leur évolution probable.
Si la famille n’est pas appelée à disparaître parce qu’elle est toujours en haut de la hiérarchie des valeurs sociales, sa structure, sa composition et ses « frontières » se sont passablement diversifiées au cours des dernières décennies. Plus, on s’attend à ce que les liens et les modes de vie familiaux continueront d’évoluer dans des contextes variés pour encore plusieurs années. Par exemple, de nouvelles perspectives sont amenées par l’augmentation de l’immigration et ses effets sur la structure familiale, les modes de cohabitation, les valeurs, etc. Il en est de même des relations et des solidarités intergénérationnelles. Si les transitions conjugales et familiales que supposent ces changements peuvent se vivre avec plus ou moins de facilité, le maintien des liens familiaux, peu importe la forme familiale, est mis de l’avant par tous pour préserver la qualité de vie des enfants. À travers ces bouleversements, certains auteurs avancent qu’il faut être en mesure de parer aux conséquences alors que pour d’autres, il faut agir avant que les problèmes se manifestent. L’intervention de l’État québécois semble jusqu’ici avoir eu des effets bénéfiques sur les familles, principalement en ce qui a trait au niveau de vie des jeunes ménages, mais tout n’est pas solutionné, notamment en matière de lutte contre la pauvreté, laquelle continuera d’être un facteur de risque important pour le développement des enfants québécois de même qu’en matière d’insertion professionnelle des jeunes peu scolarisés victimes de la précarité. Toutefois, la contribution de l’organisation communautaire et de l’économie sociale au développement social des communautés locales, dans un contexte de décentralisation des politiques publiques et de poussée des mouvements sociaux, est vue comme une source de soutien et d’accompagnement pour des projets collectifs, appelée à s’intensifier dans l’avenir.
Par ailleurs, le soutien des milieux de travail à la conciliation travail-famille reste déficient malgré les besoins exprimés en ce sens et il ne semble pas que la situation changera dans un proche avenir. Pourtant, le travail prend de plus en plus de place dans la vie des parents, mères et pères, alors que la répartition des responsabilités domestiques, qui semblait pourtant être sur la bonne voie à la fin du XXe siècle, connaît un recul. L’entrée dans le nouveau siècle a eu à cet égard des effets inattendus qui remettent en question les scénarios prospectifs les plus optimistes. Dans le champ des responsabilités familiales, l’avenir laisse poindre une hausse de la demande de soutien de la part des parents âgés pour lequel les femmes seront plus particulièrement sollicitées et qui risque de compliquer davantage la conciliation travail-famille.
Sur de multiples plans, l’action gouvernementale, selon les auteurs, jouera dans l’avenir un rôle significatif dans l’évolution des solidarités familiales. Pallier le manque de revenu et assurer l’intégration des parents au marché du travail sont des objectifs à maintenir, mais d’autres s’avèrent nécessaires pour assurer le bien-être des familles québécoises. L’aide au logement et au transport et une « politique du temps » sont proposées comme faisant partie intégrante d’une politique familiale d’avenir. Comme le soulignent St-Jacques et Drapeau, «on connaît une grande partie des éléments à mettre en place. Reste à savoir ce que l’on fera de cette connaissance » (p. 133) et selon Jenson, « si les attentes sont grandes, les instruments ne manquent pas » (p. 398). Est-ce que le message sera entendu ?
La famille à l’horizon 2020 est un livre fort instructif et pertinent pour qui s’intéresse à la société québécoise, autant les professeurs et les étudiants que les professionnels ou les citoyens engagés dans l’action. Chacun des chapitres présente une facette qui caractérise les familles. Sociologues, démographes, psychologues, juristes et spécialistes du travail social, des sciences politiques et de l’administration publique posent un regard pluridisciplinaire sur la famille et proposent une lecture de ce que sera son avenir. En même temps, c’est l’évolution de la société québécoise qui est tracée et l’ensemble des défis à relever qui ressortent de ce tour d’horizon.