En introduction à son essai Vive la recherche libre !, Andrée Lajoie, professeure émérite à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, remercie vivement ses assistants de recherche qui ont « effectué la recherche documentaire », « établi tous les calculs » présentés dans la première partie, « réalisé les entrevues avec les chercheurs et les administrateurs de la recherche » et « assuré l’analyse préliminaire de ces entrevues, dont une grande partie a été intégrée au texte de la seconde partie de cet ouvrage ». Elle avoue alors, candidement, qu’« il est bien évident que mon incompétence en toutes ces matières ne m’aurait pas permis [autrement] de compléter cette recherche ni d’écrire cet ouvrage » (p. 9-10). Certes, on pourrait croire que la formule n’est que rhétorique, mais force est de constater, après lecture attentive de l’ouvrage, que l’auteure dit vrai tant il comporte des lacunes et des biais qui auraient été immédiatement détectés par des évaluateurs externes si l’ouvrage avait dû passer l’étape, toujours difficile dans le monde académique, de l’évaluation anonyme par les pairs... Le thème abordé étant important, cet ouvrage offre l’occasion de tenter de dépasser les réactions épidermiques et les a priori qui tiennent le plus souvent lieu « d’analyse » du système de la recherche pour en éclairer certains aspects à la lumière de faits facilement vérifiables. On peut en effet déplorer le fait que bien des commentateurs ont souvent de la difficulté à appliquer à un objet trop proche d’eux les méthodes d’objectivation et de distanciation qu’ils enseignent et utilisent pourtant quand il s’agit d’objets qui leur sont extérieurs et ne les touchent pas directement. Après une présentation de l’ouvrage et de ses méthodes, j’expliquerai pourquoi il ne répond pas à l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir analyser « l’impact des modes de subvention de la recherche en sciences humaines et sociales sur son orientation » (p. 8) et montrerai que les biais de l’auteure sont l’effet d’une conception purement individualiste de l’activité de recherche. L’ouvrage se divise en deux parties. La première propose une « Analyse descriptive et quantitative des programmes de subventions » (p.13-69) et la seconde, plus longue, présente le « Point de vue du milieu de la recherche » (p. 73-196). Lapsus ou coquille, on ne sait trop, la première partie présente en fait non pas un seul et unique point de vue, mais le spectre habituel des points de vue qui circulent dans le monde académique, bien que celui de l’auteure soit bien sûr privilégié… Comme on le verra, ce point de vue est assez simple : toute recherche universitaire devrait être « libre », ce qui, pour l’auteure, signifie une recherche « entreprise par le chercheur selon son choix de sujet et sans contrainte quant aux modalités de réalisation de son projet » (p. 16). En somme, c’est une recherche individuelle, choisie de façon individuelle et effectuée de façon individuelle. Tout le reste—c’est-à-dire la recherche en équipe ou sur des thèmes et des disciplines ciblées, de même que les recherches concertées—est défini et classé comme « non libre ». Avant de présenter au chapitre 2 les résultats de l’étude quantitative des fonds alloués à la recherche libre au Québec tant par les organismes fédéraux que québécois, l’auteure rappelle brièvement, au chapitre 1, l’histoire de ces organismes et de leurs divers programmes. Elle affirme par exemple qu’« on a tendance à penser que le financement de la recherche en sciences sociales et humaines au Canada a commencé avec la création du Conseil des Arts du Canada en 1957 ». Or, ajoute-t-elle, « ce n’est …
Appendices
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