Cet essai-témoignage débute par une affirmation qui a valeur de question préalable digne d’un chercheur : « Il est difficile de mettre le doigt sur ce qui amena exactement les jeunes des États-Unis, du Mexique, du Japon et d’une dizaine de pays d’Europe à se soulever en 1968 » (p. 20). Mais l’auteur n’offre pas de réponse systématique car il ne prétend pas écrire en historien breveté s’adressant à la communauté scientifique. Par contre, l’avant-propos promet explicitement le récit du cas québécois. Et le livre y réussit très habilement, notamment en divisant l’année en douze chapitres organisés autour d’une donnée centrale : par exemple, janvier pour le mouvement étudiant, avril autour de l’Osstidshow, juin avec l’élection de Pierre Elliott Trudeau, octobre avec la naissance du Parti québécois et décembre, pour le Front de libération du Québec (FLQ). Cependant, comme il convient dans ce genre d’ouvrage, la bibliographie est sommaire, les travaux de spécialistes sur cette période ne sont pas mentionnés, les hypothèses, méthodes de recherche et terrains empiriques couverts ne sont pas présentés de manière réflexive et l’ensemble ne révèle rien de neuf. Dès l’abord, lorsqu’on feuillette le livre, on remarque l’usage systématique du noir et blanc pour les photos, ce qui souligne la promesse que le lecteur sera plongé dans le passé, sinon dans ses propres souvenirs. Pourtant, au total, il s’agit peu d’un livre de souvenirs personnels – en 1968, l’auteur avait 13 ans –, mais bien plus d’une sorte de long reportage truffé de réflexions personnelles, souvent sagaces (voir notamment le chapitre 7, le mois de juin intitulé « Le phénomène » à propos de Pierre Elliott Trudeau). Il reste que Benoit Gignac a vécu ces années-là et, à l’évidence, il est demeuré personnellement concerné par elles, ne serait-ce que parce qu’il s’inclut lui-même dans une catégorie de la socio-pop, le groupe des baby-boomers qui aurait été au coeur de l’événement. Cela le conduit inévitablement à introduire çà et là des touches attendries ou nostalgiques et, dans les deux dernières pages, à prendre carrément la défense des baby-boomers souvent accusés de l’avoir eu facile et de ne pas avoir laissé grand-chose pour ceux qui sont nés après. Pourtant, dès les premières pages, il avait commis la phrase suivante : « Tous [les groupes de jeunes impliqués un peu partout dans le monde] revendiquèrent des changements dont la majorité peuvent apparaître aujourd’hui comme spécieux, voire comme des suppliques d’enfants gâtés. » Dans l’ensemble, il soutient globalement une position voulant « que 1968 fut, de toute la décennie ‘tranquille', l’année qui révolutionna le plus ». Pour lui, elle fut même « le dernier acte du drame » de la Révolution tranquille ; 1969 marqua ensuite son déclin et 1970, sa fin. De plus, avance-t-il, elle fut aussi l’année où « les Canadiens français devinrent à tout jamais des Québécois ». Physiquement, ce livre se présente sous un format légèrement gonflé (17,5 x 26,5 cm), un papier presque glacé / presque cartonné, plus de 60 photos dont au moins le tiers sur deux pages, un texte aligné sur la marge extérieure et disposé sur une colonne de 10 cm, ce qui laisse un tiers de page en blanc pour introduire çà et là des exergues. Cette apparence en fait un quasi-album de photos commentées, presque un livre d’images. Il est vrai que les Éditions La Presse font dans le livre grand public. Soigné, bien écrit et de bon ton aussi. Par exemple, la quatrième de couverture affiche la photo de l’auteur et mentionne plutôt discrètement qu’il est le fils du chanteur de charme Fernand Gignac ; il lui ressemble beaucoup.
Benoit Gignac, Québec 68.L’année révolution, Montréal, Les Éditions La Presse, 2008, 270 p.[Record]
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François Demers
Département d’information et de communication,
Université Laval.
francois.demers@com.ulaval.ca