Comptes rendus

Malcolm Reid, Notre parti est pris, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2009, 344 p.[Record]

  • Andrée Fortin

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C’est le jeu de la traduction du titre et du sous-titre de cet ouvrage initialement paru en anglais en 1972 qui en révèle le mieux le propos. Le sous-titre : « Un jeune reporter chez les écrivains révolutionnaires du Québec, 1963-1970 » annonce que ce n’est pas tant la revue Parti pris ou la maison d’édition du même nom qui est l’objet du livre mais la mouvance autour de celles-ci. À cet égard, le titre en anglais est plus approprié : The Shouting Signpainters. A Literary and Political Account of Quebec Revolutionary Nationalism, qui bien sûr renvoie au livre de Paul Chamberland, L’Afficheur hurle. De cette dérive linguistique, il faut retenir non seulement le lien entre littérature et révolution, mais surtout celui entre littérature et révolution dans le contexte nationaliste des années 1960, alors que le Parti québécois n’existait pas encore et que sautaient les premières bombes du Front de libération du Québec (FLQ). Ce que le sous-titre en français évoque aussi, c’est la posture de Reid, alors jeune reporter, partageant un grand nombre des convictions des écrivains dont il parle, partageant aussi leurs questions, et cherchant en même temps qu’eux, avec eux, des réponses. Cette posture n’est pas sans analogie avec celle de Carmelle Dumas (2008), à la différence que celle-ci a écrit son livre sur L’Osstidshow et 1968 après coup. Ce côté très personnel des deux ouvrages fait qu’on n’a pas l’impression que les deux auteurs parlent du milieu culturel de la même ville à peu près à la même époque. Si Dumas traite surtout de la chanson et Reid de littérature, les deux posent essentiellement la même question, celle de la place de l’art dans le changement social. La littérature peut-elle contribuer au changement social, et si oui comment ? Comment des écrivains révolutionnaires doivent-ils écrire et à qui doivent-ils s’adresser : à l’élite, au peuple ? Bref, c’est la question de l’engagement de l’écrivain qui est posée. Doit-il s’engager politiquement ? Son engagement littéraire a-t-il un effet social et politique ? Au coeur des interrogations de Reid, se trouve aussi, surtout, le lien entre les intellectuels et le peuple. À cet égard, il n’est pas anodin que le premier chapitre, intitulé « Watch out, tu vas vwère », soit consacré à la langue parlée dans les quartiers populaires de Montréal. Pour Reid, cette langue, le joual, est celle non seulement de prolétaires mais surtout de colonisés, affirmation qui peut surprendre un demi-siècle plus tard, mais qui dans le Québec des années 1960 trouvait une place de choix dans la revue et les éditions Parti pris. Un sous-titre du chapitre 2 consacré principalement au roman Le Cassé de Jacques Renaud, « Les mots, clé de la révolution », illustre bien la conviction des partipristes, héritée de Memmi et Fanon, selon laquelle la révolution passe d’abord par la prise de conscience et l’énonciation de l’aliénation. La question du rapport à la langue et notamment au joual est à la fois le contexte dans lequel évoluent les « écrivains révolutionnaires » des années 1960 et le problème principal auquel ils se heurtent dans leur travail. Avec le recul, on entrevoit les débats qui déchireront la gauche québécoise des années 1970 : la lutte nationale doit-elle, peut-elle, avoir préséance sur la lutte sociale ? Dans le contexte québécois, peut-on faire se rejoindre les deux dans une gauche nationaliste, et si oui à quel prix ? La question se pose déjà dans les années 1960, mais de façon moins claire que dans les années 1970, où plusieurs écrivains professeront des positions d’extrême gauche tout en adoptant une …

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