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La migration et l’installation en permanence de nouvelles populations dans l’espace rural se sont faites plus tardivement au Québec, en comparaison avec les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Les incidences et les interactions sociales et culturelles qui émergent de cette nouvelle forme de mobilité et de repeuplement dans les campagnes québécoises sont peu analysées. Les motifs de déménager ne sont guère plus connus, de même que le sens à donner aux transformations socioéconomiques et culturelles qui redessinent peu à peu le territoire rural. Ce champ d’étude est encore peu exploré, comme l’indique un article proposant un bilan des études rurales au Québec (Simard, 2002). Les écrits demeurent rares et sporadiques, tout comme les développements théoriques et conceptuels sur le sujet[1].

L’objectif de cet article est de pallier le manque de connaissances entourant cette situation au Québec, en dressant un portrait inédit des nouvelles populations rurales, souvent dénommées « néo-ruraux ». Il vise à faire ressortir les convergences et divergences caractérisant les néo-ruraux de deux MRC contrastées, à savoir celles de Brome-Missisquoi et d’Arthabaska[2]. D’emblée, nous postulons que, contrairement à l’image habituellement véhiculée dans l’opinion publique et les médias, ces populations sont hétérogènes non seulement par leurs trajectoires migratoires et leurs caractéristiques sociodémographiques et économiques, mais également en fonction de leur processus d’insertion et des territoires qu’ils habitent.

Ce texte comprend trois parties. Les balises théoriques et méthodologiques ayant guidé cette recherche seront d’abord exposées. Ensuite, les deux terrains d’étude et un bref profil des nouvelles populations rurales qu’ils accueillent seront présentés. La troisième partie, qui est le coeur de l’article, s’attardera à dégager l’hétérogénéité des nouvelles populations rurales dans ces deux MRC contrastées en les comparant selon divers aspects : trajectoires résidentielles et motifs de migration ; caractéristiques reliées à l’emploi ; insertion sociale. Enfin, après un bref rappel des principaux constats liés à la comparaison des deux territoires touchés par ce changement, la conclusion permettra de tirer quelques leçons tout en proposant certaines pistes de réflexion pour l’avenir.

Balises théoriques et méthodologiques

La migration de la ville vers la campagne est un phénomène qu’on constate dans plusieurs pays occidentaux et qui attire, de façon croissante, l’attention des chercheurs, décideurs et autres acteurs clés locaux[3]. Depuis les trente dernières années, ont été documentés différents aspects de la recomposition sociodémographique des campagnes, ce que Kayser a qualifié de renaissance rurale dans son ouvrage consacré à la question (1990). Cette dynamique de repeuplement a été abordée en effet dans divers pays sous plusieurs angles, tant dans des approches quantitatives ou qualitatives explorant de ce changement, que dans des réflexions plus conceptuelles à propos de notions clés telles que counterurbanisation (contre-urbanisation) ou population turnaround (retournement)[4]. Certains chercheurs se sont attardés dans leurs études à dégager les motivations liées à la migration ville-campagne, l’accueil et le processus d’insertion des nouveaux ruraux ainsi que les impacts de leur installation (Moquay et Roussel, 2002 ; Roy, Paquette et Domon, 2005). D’autres s’interrogent sur la persistance d’inégalités dans la transformation sociodémographique des espaces ruraux du monde occidental (Bryden et Hart, 2004) ou rajoutent une perspective comparative entre divers pays connaissant cette nouvelle réalité (Simard, 2007).

Les écrits nationaux et internationaux s’attardent généralement à des groupes de migrants spécifiques tels des jeunes (Desjardins et Simard, 2008)[5], des retraités (Brown et Glasgow, 2008 ; Calloiset al., 2003), des migrants de retour (Potvin, 2005), des néo-entrepreneurs (Saleille, 2006), des immigrants (Reimer, 2007 ; Simard, 2008a) ou des artistes (Mitchellet al., 2004). Or, rares sont les recherches qui tentent de dresser un portrait plus global de ces nouvelles populations rurales en dégageant les convergences et les divergences sur diverses dimensions les caractérisant. D’où notre ambition de tracer le profil des néo-ruraux de tous les groupes d’âge, ayant notamment des trajectoires résidentielles et des statuts occupationnels variés. En adoptant une double perspective comparative, d’abord entre néo-ruraux et ensuite entre deux MRC, nous souhaitons faire ressortir la complexité des populations qui sont à l’arrière-scène de ce repeuplement.

D’emblée, la définition opérationnelle de néo-ruraux que nous préconisons renvoie à des individus ayant vécu en milieu urbain et qui ont fait le choix de s’installer en permanence en milieu rural. Il ne faut toutefois pas les confondre avec les populations plus saisonnières, comme les villégiateurs et les touristes, ni avec les navetteurs qui relèvent selon nous d’une autre problématique. Les néo-ruraux dont il s’agit dans cette recherche répondent sommairement aux quatre critères de sélection suivants : 1) leur domicile permanent est localisé dans les municipalités rurales des MRC[6] ; 2) ils y habitent en permanence depuis un minimum d’un an ou un maximum de 20 ans ; 3) leur dernier lieu de résidence est en milieu urbain, soit dans une métropole, une ville moyenne ou en banlieue ; 4) ils sont âgés de 18 ans ou plus.

Les résultats présentés émanent de deux méthodes. En premier lieu, une approche quantitative a été privilégiée dans le but de dresser un portrait global des néo-ruraux dans les deux territoires concernés, en raison de l’absence totale de fichiers ou de données sur ces derniers. En effet, aucune des municipalités contactées dans les deux MRC ne disposait d’une liste exhaustive des nouveaux ruraux ni ne colligeait systématiquement cette information. Après avoir reçu l’autorisation de la Commission d’accès à l’information du Québec, une liste finale de près de 500 noms de néo-ruraux fut donc constituée grâce à la collaboration de plusieurs organisations locales dans les deux MRC (hôtels de ville, paroisses, écoles, associations villageoises variées, etc.)[7]. Évidemment, nous ne pouvons pas prétendre à l’exhaustivité. Nous sommes conscientes que les noms fournis ne représentent pas l’ensemble des nouveaux résidents des MRC à l’étude, mais cette méthode s’avérait la seule permettant de cibler cette population. Un sondage téléphonique a ainsi été mené en 2006 auprès d’un échantillon de 100 néo-Bromisquois et 80 néo-Arthabaskiens, et ce, de façon aléatoire à partir de la liste globale mais tout en tenant compte des critères mentionnés plus haut. L’accent fut notamment mis sur leurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques ainsi que leur parcours de mobilité antérieure, leurs motivations à migrer en milieu rural et certaines pratiques de participation locale[8].

En deuxième lieu, afin d’explorer plus en profondeur les premiers résultats du sondage et bonifier certaines analyses et interprétations qui s’en dégagent, une approche qualitative a été utilisée. Elle est basée sur des entrevues semi-dirigées réalisées en 2006 et 2007 auprès de 23 néo-ruraux dans Brome-Missisquoi et 24 dans Arthabaska. Ces entrevues approfondies, d’une durée moyenne d’une heure et demie, comportent des informations variées portant non seulement sur leur historique migratoire et les motifs de migration en milieu rural, mais également sur leur processus d’insertion globale dans la société rurale (professionnelle, sociale, culturelle, politique). Leurs représentations de l’avenir du milieu rural, leurs rapports à la campagne et à la ville ainsi que leurs projets d’avenir ont également été explorés.

L’analyse qualitative de ces entrevues permet de déceler les grandes tendances venant avantageusement compléter les données du sondage. En effet, rappelons que la complémentarité, la superposition et la confrontation de différentes méthodes de recherche, aussi appelées techniques de triangulation, renforcent les analyses et les interprétations d’une recherche, ce qui rend les résultats plus crédibles et transférables (Savoie-Zajc, 2003). La combinaison des démarches quantitatives et qualitatives s’avère ici un outil de validation de données, notamment lorsqu’elle respecte « la représentativité des approches quantitatives mais aussi le pouvoir de compréhension des approches qualitatives » (Gondard-Delcroix, 2006, p. 52). Le croisement de ces deux méthodes a ainsi permis de tester la fiabilité des résultats tout en cernant avec plus de finesse la complexité du phénomène de néo-ruralité au Québec, tel qu’il se manifeste dans deux territoires fort différenciés. Bien que basé surtout sur les données du sondage, cet article viendra également mettre en relief certains résultats des entrevues qualitatives pour renforcer les analyses et mieux appuyer les interprétations.

Brome-Missisquoi et Arthabaska : deux MRC accueillant des nouvelles populations rurales

Survol des territoires

Cette recherche s’appuie sur l’expérience de deux MRC québécoises accueillant de nouvelles populations rurales, mais dont le phénomène se manifeste différemment. La MRC de Brome-Missisquoi est localisée au sud du Québec, aux limites de l’Estrie, de la Montérégie et du Vermont (États-Unis) (carte 1). Lors du recensement de 2006, elle accueillait une population de 46 720 personnes dispersées dans 20 municipalités, dont une seule ville de plus de 12 000 habitants (Cowansville). Ces municipalités se trouvent à environ une heure et demie de trajet en voiture des villes de Montréal et de Sherbrooke qui leur servent notamment de pôles de services. Cette localisation stratégique en fait aussi une MRC accessible pour les populations urbaines, tant pour la consommation d’activités culturelles et récréatives que pour des séjours de villégiature. D’ailleurs, l’économie de cette MRC est tournée davantage vers le tourisme et la villégiature et ce, surtout en raison de la présence du lac Brome et du massif des monts Sutton ainsi que d’une population regroupant de nombreux artistes[9]. Ces caractéristiques ont alors attiré des villégiateurs susceptibles de s’établir de façon permanente à la retraite, à la suite de séjours prolongés de villégiature. Le phénomène de néo-ruralité y est donc relativement ancien, plus particulièrement dans certaines municipalités comme Lac-Brome, Sutton ou Frelighsburg. En outre, l’économie de Brome-Missisquoi est caractérisée par la présence de petites villes ayant des activités industrielles et manufacturières (ex. : Bedford et Farnham). Elle compte également des productions agricoles diversifiées avec de grandes productions animales et végétales dans la plaine du Saint-Laurent à l’ouest de la MRC, et de plus petites productions agricoles marginales dans le secteur vallonneux et montagneux plus à l’est. Ajoutons que Brome-Missisquoi est le foyer d’une population mixte linguistiquement, puisque 74 % de l’ensemble de la population est de langue maternelle française et 22 %, de langue maternelle anglaise (Statistique Canada, recensement de 2006).

La MRC de Brome-Missisquoi a été choisie à la suite d’une première étude exploratoire réalisée en 2003 dont le principal objectif était d’examiner les incidences globales des nouveaux ruraux sur le développement rural dans Brome-Missisquoi. Selon cette étude, cette MRC serait majoritairement composée de néo-ruraux retraités (Simard, HÉbert et Martin, 2003). D’où notre décision de trouver une deuxième MRC accueillant surtout des jeunes nouveaux ruraux, afin de comparer deux territoires différents et ainsi mieux saisir le phénomène de recomposition sociodémographique des campagnes dans sa complexité.

La MRC d’Arthabaska a été sélectionnée en raison de la présence d’une migration importante, notamment chez les jeunes[10]. Lors du recensement de 2006, sa population s’élevait à 66 247 habitants répartis dans 24 municipalités, dont la ville la plus importante est Victoriaville (48 893 habitants). La population arthabaskienne est surtout francophone, comparativement à celle de Brome-Missisquoi qui est plus hétérogène linguistiquement. Située dans la région administrative du Centre-du-Québec, cette MRC est localisée stratégiquement par rapport aux villes de Montréal, Québec, Trois-Rivières et Sherbrooke, alors qu’un peu plus d’une heure de trajet en voiture la sépare de ces villes. Avec ses sols riches, les basses terres du Saint-Laurent (au nord de la MRC) sont favorables à l’agriculture. De ce fait, on y retrouve des productions végétales de grandes cultures et des productions animales de bovins laitiers, de bovins de boucherie et de porcs. La MRC d’Arthabaska s’est d’ailleurs vue attribuer le titre de « bassin laitier du Québec »[11]. On y compte aussi de nombreuses industries fromagères et la plus grande concentration de producteurs de canneberges au Québec[12]. De plus, les secteurs industriel et commercial y sont très développés et génèrent plusieurs emplois. Cette MRC attire donc une main-d’oeuvre diversifiée et qualifiée, ce qui peut expliquer que certaines municipalités soient en croissance démographique (ex. : Kingsey Falls). Plus au sud d’Arthabaska, le secteur des hautes terres appalachiennes est peu propice à la pratique de l’agriculture traditionnelle, mais on y compte des productions agricoles plus diversifiées et spécialisées. L’agrotourisme, l’écotourisme et les activités de plein air font également partie de l’économie de cette portion du territoire en raison de la présence de la chaîne de montagnes des Appalaches. Certains secteurs de cette MRC accueillent des villégiateurs (ex. : Saints-Martyrs-Canadiens), mais les activités liées au tourisme et à la villégiature sont moins marquées que dans Brome-Missisquoi.

Carte 1

Localisation des deux MRC à l’étude : Brome-Missisquoi et Arthabaska

Localisation des deux MRC à l’étude : Brome-Missisquoi et Arthabaska

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Les populations à l’étude : des néo-ruraux aux profils différenciés

Cette section permettra de bien définir les principales variables démographiques et socioéconomiques des néo-ruraux interrogés dans le cadre du sondage téléphonique. Rappelons que seuls les nouveaux résidents des municipalités rurales des deux MRC ont été interrogés, ce qui implique qu’aucun individu vivant à Cowansville (Brome-Missisquoi) ou Victoriaville (Arthabaska) ne fait partie de l’échantillon.

Les néo-Bromisquois sont clairement plus âgés que les néo-Arthabaskiens alors que respectivement 50 % et 22 % ont 60 ans et plus. À l’inverse, on compte une plus grande proportion de jeunes âgés entre 18 et 39 ans[13] et d’adultes d’âges moyens (40 à 59 ans) dans Arthabaska (37 % et 42 %) comparativement à Brome-Missisquoi (17 % et 33 %). Conséquemment, les retraités (51 %) et les semi-retraités (5 %) sont plus nombreux chez les néo-Bromisquois que chez les néo-Arthabaskiens qui regroupent quant à eux de plus fortes proportions de travailleurs actifs (55 %) et de parents au foyer (11 %). À l’image de leurs caractéristiques physiques et économiques respectives, ces deux MRC n’attirent pas, de manière générale, le même type de néo-ruraux en termes d’âge et de statut occupationnel. La partie suivante sur les expériences migratoires, l’emploi et l’insertion sociale fournira d’ailleurs des informations supplémentaires à cet égard, permettant ainsi de mieux définir et distinguer ces populations néo-rurales.

Bien que les étapes de vie diffèrent généralement entre les néo-ruraux des deux MRC à l’étude, la plupart d’entre eux partagent leur vie avec un conjoint, qu’ils soient légalement mariés ou qu’ils vivent en union de fait, et ce, dans les deux territoires étudiés. Or, en cohérence avec l’âge des néo-ruraux, on compte moins d’enfants qui vivent avec eux dans Brome-Missisquoi (26 %) que dans Arthabaska (43 %). Ces derniers sont des jeunes enfants ou des adolescents, la quasi-totalité ayant moins de 18 ans.

Les niveaux de scolarité et les domaines d’études sont tout aussi différents, les néo-Bromisquois étant plus scolarisés puisque près des trois quarts (74 %) sont titulaires d’un diplôme universitaire et 23 % d’un diplôme collégial. Ils ont surtout étudié en commerce, gestion et marketing ainsi qu’en arts visuels et arts d’interprétation. Contrairement à ceci, seulement 28 % des néo-ruraux d’Arthabaska ont un diplôme universitaire, alors que près des trois quarts ont soit un cours professionnel ou des études collégiales (49 %), soit des études primaires ou secondaires (24 %). Leurs trois principaux domaines d’études concernent le commerce, la gestion et le marketing, puis l’éducation.

Le caractère bilingue de Brome-Missisquoi attire une population néo-rurale anglophone et francophone, une réalité qui touche moins la MRC d’Arthabaska dont la population néo-rurale est en grande majorité francophone. En ce qui concerne les entrevues qualitatives, ces mêmes grandes tendances du profil des néo-ruraux s’en dégagent, comme le montrent deux rapports qualitatifs réalisés dans le cadre de cette même recherche (Desjardins et Simard, 2008, 2009)

Comparaison des populations néo-bromisquoises et néo-arthabaskiennes

Cette partie centrale de l’article se concentrera sur l’analyse comparative des néo-ruraux de Brome-Missisquoi et d’Arthabaska quant à trois aspects importants de leur vie, à savoir leurs expériences migratoires (trajectoires résidentielles et motifs de migration) ainsi que leur insertion professionnelle et sociale dans la campagne choisie comme domicile permanent.

Des trajectoires résidentielles diversifiées

Tout comme leurs profils, les trajectoires résidentielles des néo-ruraux sont diversifiées selon les territoires. Seront fournies ici quelques informations du sondage sur l’origine des néo-ruraux, c’est-à-dire leur principal lieu de jeunesse et leur dernier lieu de résidence avant la migration en permanence dans la MRC concernée. Cela permettra également de comparer les deux MRC en ce qui concerne la migration de retour (phénomène se référant aux individus ayant déjà vécu en permanence dans la MRC dans laquelle ils choisissent de s’installer à nouveau), l’origine immigrée et le statut d’ex-villégiateur. Les résultats des entrevues sont généralement conformes à ceux du sondage et certains extraits de ces entrevues viendront bien mettre en évidence les grandes tendances qui en ressortent.

Les néo-Bromisquois ont des trajectoires de vie surtout urbaines alors que plus de la moitié (57 %) ont passé la majeure partie de leur jeunesse (1 à 18 ans) dans une métropole ou alentours, et ce, principalement à Montréal ou dans ses banlieues nord et sud. Seulement 21 % ont vécu cette étape de leur vie dans une ville moyenne et 22 % en milieu rural. Spécifions que la migration de retour n’apparaît pas comme étant une réalité touchant Brome-Missisquoi, puisque la quasi-totalité des néo-ruraux interrogés sont des individus qui n’y ont jamais vécu en permanence auparavant. Cette situation pourrait s’expliquer, en partie, par l’embourgeoisement rural de cette MRC, se traduisant entre autres par une hausse du prix foncier. Il devient alors ardu d’accéder à la propriété et au logement, surtout pour les jeunes désireux de venir y vivre ou pour ceux souhaitant revenir dans leur lieu d’enfance, difficulté soulevée dans les analyses récentes de Guimond et Simard (2010).

Les trajectoires résidentielles des néo-Arthabaskiens sont plus hétéroclites puisque seulement 26 % ont principalement vécu leur jeunesse dans une métropole ou alentours et 46 % dans une ville moyenne. En outre, un peu plus du quart d’entre eux (28 %) ont passé la majeure partie de leur enfance à la campagne, dans diverses régions administratives du Québec. Cette origine rurale a sans doute influencé leur choix de s’installer en permanence à la campagne à une étape ultérieure de leur vie, comme l’ont laissé paraître les entrevues réalisées auprès de ces individus des deux MRC :

Quand j’ai pris ma retraite, je voulais sortir de la ville. Montréal, c’est fait pour travailler. C’est pas fait pour vivre. Quand tu as fini de travailler, tu t’en vas. Je voulais m’en aller en campagne. Je suppose que j’avais la campagne dans l’âme, je suis né en campagne (Arnéo 20)[14].

Bien, moi je suis née à la campagne. En fait, c’est seulement un retour aux sources. Je suis née dans une petite ferme, toute petite. Pas longtemps, car à sept ans, on est allé dans un village. Mais j’ai gardé la nostalgie de ces années-là, puis je les retrouve ici, les fleurs et puis tout (Bmnéo 02).

Les néo-ruraux d’Arthabaska se distinguent du fait que près du quart (21 %) sont des migrants de retour qui ont déjà vécu en permanence dans cette MRC, surtout pour une durée variant entre 16 et 20 ans. Ces individus ont donc effectué des séjours prolongés dans des milieux urbains localisés à l’extérieur de cette MRC avant d’y revenir en permanence, et ce, principalement à Montréal ou ses banlieues, mais aussi dans des villes moyennes. Pour la majorité de ces migrants de retour, Arthabaska est la MRC d’origine, car ils y sont nés (82 %) alors que les autres (18 %) y ont déjà vécu de façon permanente sans y être nés. À l’instar de l’ensemble de la population néo-arthabaskienne, ces migrants de retour sont tant des travailleurs actifs (47 %) que des retraités (41 %) et des parents au foyer (12 %). Près de la moitié (47 %) d’entre eux sont des jeunes, 29 % sont des adultes d’âges moyens et 24 % sont âgés de 60 ans et plus.

Les différentes tranches d’âges révèlent une migration de retour non seulement chez les jeunes adultes, comme l’a déjà observé Potvin dans diverses régions administratives du Québec (2005), mais également chez les individus plus âgés à une étape ultérieure dans leur cycle de vie. À titre d’exemple, en étudiant les aspirations résidentielles des baby-boomers finlandais nés à Ristijärvi mais habitant désormais à l’extérieur de cette communauté rurale éloignée, Jauhiainen a montré qu’une certaine nostalgie liée aux souvenirs de la campagne poussaient notamment ces individus à vouloir revenir s’y installer en permanence à la retraite (2009), ce que nous observons également dans Arthabaska. La recherche de Ní Laoire (2007) menée en Irlande auprès de migrants de retour s’avère particulièrement éclairante sur le processus d’insertion de ce groupe spécifique de migrants. En s’appuyant sur leurs récits de vie, l’auteure met en parallèle les représentations idylliques du retour à la campagne et la complexité des relations sociales entre migrants de retour et résidents de longue date. D’ailleurs, dans l’ensemble, la présence de migrants de retour parmi les néo-Arthabaskiens vient apporter des nuances dans l’expérience migratoire et le rapport à l’espace des nouveaux ruraux de cette MRC. Le retour de ces migrants témoigne clairement de leur attachement à l’espace physique et social qui a marqué leur enfance et où se trouvent leurs proches :

Je ne voulais pas faire ma vie à Montréal, puis c’était clair que je voulais revenir dans le coin parce que mes amis sont là, ma famille est là, c’est plus campagne. […] C’était écrit dans le ciel que j’étais pas faite pour rester là-bas (Arnéo 23).

Tu sais, je suis née ici, j’ai grandi ici. Tous les coins d’ici, j’ai un souvenir en quelque part, ça fait qu’on est plus rattaché sentimentalement à cause de tous ces souvenirs-là finalement (Arnéo 22).

Moi je suis né dans la MRC d’Arthabaska. Si je reviens, c’est parce que j’ai rien à l’extérieur. Toute ma famille est ici, dans la MRC d’Arthabaska. Puis vu que je ne travaille plus comme tel, je n’ai plus besoin de courailler (Arnéo 12).

Arthabaska accueille des néo-ruraux ayant des derniers lieux de résidence plus diversifiés que dans Brome-Missisquoi, ce qui peut être expliqué par la situation géographique de cette MRC localisée au centre du Québec. La moitié des néo-Arthabaskiens vivaient en effet, soit à Montréal ou ses banlieues (48 %), soit dans une métropole hors Québec (2 %) avant de s’installer en permanence dans cette MRC. Par ailleurs, l’autre moitié résidaient dans une ville moyenne, dont quelques-unes sont localisées à proximité de la MRC d’Arthabaska, telles Drummondville, Trois-Rivières et Saint-Hyacinthe. Par contraste, Montréal et ses alentours fait particulièrement partie des milieux urbains déjà habités par les néo-Bromisquois, la majorité (81 %) ayant cette région métropolitaine comme dernier lieu de résidence. Les autres arrivaient de métropoles hors Québec (4 %) et de villes moyennes (15 %). Les derniers lieux de résidence de ces nouveaux ruraux étaient donc relativement homogènes. La proximité de Montréal par rapport à Brome-Missisquoi constitue certes un avantage pour les néo-ruraux, leur permettant d’y garder des liens étroits, que ce soit pour des raisons professionnelles, sociales, familiales, culturelles ou pour la consommation de biens et services comme l’expriment ces extraits d’entrevues :

J’y vais presque toutes les semaines finalement parce que j’ai ma mère qui habite encore à Montréal et qui a besoin que j’y sois et j’ai un de mes fils aussi qui habite à Montréal. Quand j’y vais, d’habitude je passe une nuit à Montréal et puis là, j’en profite. Je vais souper avec quelqu’un, je vais au cinéma avec un autre, je vais visiter maman. J’ai toute ma tournée là et, ça, c’est très régulier (Bmnéo 18).

Écoute, on va souvent à Montréal. Si je vais voir un client à Montréal, j’en profite pour rester là puis aller au resto, puis aller au cinéma, aller voir du théâtre. On s’est abonné à du théâtre à Montréal l’année passée (Bmnéo 7).

My husband was still working in Montréal, so we wanted to still stay within an hour to an hour and a quarter drive from Montréal (Bmnéo 11).

Les entrevues ont révélé l’importance du lieu d’origine dans les pratiques des néo-ruraux alors que les néo-Bromisquois entretiennent des liens réguliers avec la ville de Montréal, non seulement par choix, mais aussi parfois par nécessité dans le cas de certains travailleurs actifs. Cela a aussi été observé chez les néo-ruraux artistes qui vivent dans le sud de l’Ontario et qui ont gardé des liens professionnels sporadiques avec la région métropolitaine de Toronto (Mitchell et al., 2004). Une répondante illustre bien cette tendance :

Cet été, je suis allée [à Montréal] deux mois pour faire de l’argent. Je reste branchée sur Montréal de temps en temps quand je peux avoir un contrat. Puis, je vais à Montréal pour prendre une pause de ma vie familiale. Puis, je vais à Montréal un petit peu pour magasiner. […] On va chercher des trucs spécialisés. Il manque de bouffe d’autres nationalités. […] (Bmnéo 16).

Nos données du sondage laissent présager que Brome-Missisquoi s’avère le territoire d’accueil d’une proportion non négligeable de personnes nées à l’extérieur du Canada (19 %), dont la majorité (79 %) ont transité par Montréal avant de s’établir en permanence dans cette MRC. La majorité de ces individus sont natifs d’Europe (84 %), à savoir la France, la Belgique, la Suisse, l’Italie et l’Allemagne, alors qu’une minorité proviennent d’Afrique du Nord, d’Amérique du Sud et des États-Unis. Ces résultats rappellent que les frontières contemporaines de l’immigration se dessinent au-delà des métropoles, comme l’illustre l’immigration dans les régions rurales de plusieurs pays occidentaux (Jentsch et Simard, 2009). En comparaison, peu (9 %) de nouveaux ruraux de la MRC d’Arthabaska sont nés à l’extérieur du Canada[15].

Si les nouveaux résidents d’Arthabaska se démarquent par la présence de migrants de retour, les néo-Bromisquois ont, pour leur part, un rapport à la campagne teinté par des séjours de villégiature ayant précédé leur établissement en permanence. En effet, le statut d’ex-villégiateur concerne près du quart d’entre eux (22 %) contre 14 % chez les néo-Arthabaskiens. Cela implique que leur domicile permanent à la campagne fut antérieurement une résidence secondaire. Avant de transformer leur chalet en domicile permanent, un fort pourcentage (86 %) d’ex-villégiateurs bromisquois vivaient à Montréal ou ses banlieues. Dans l’ensemble, les ex-villégiateurs se sont surtout installés dans le secteur est de la MRC, un secteur qui, rappelons-le, est reconnu pour sa villégiature et ses paysages montagneux, notamment auprès des Montréalais. Il est clair que les séjours antérieurs de villégiature ont grandement influencé leur choix de déménager définitivement dans Brome-Missisquoi, voire dans une municipalité ou une propriété en particulier, puisqu’ils étaient déjà conscients de certains avantages et inconvénients qu’avait à offrir leur nouveau milieu de vie. D’ailleurs, la moitié (50 %) d’entre eux y ont vécu à titre de villégiateur pendant plus de dix ans et les autres, pour des durées variées moins longues. C’est donc dire que, par ces séjours de villégiature relativement prolongés, ils ont acquis une bonne connaissance de Brome-Missisquoi et y ont développé un sentiment d’appartenance, ce qui, sans l’ombre d’un doute, a facilité leur insertion. Cet aspect est ressorti explicitement lors des entrevues menées auprès d’ex-villégiateurs qui affirment avoir bénéficié d’un réseau de contacts lors de leur installation en permanence :

On connaissait beaucoup les gens, on connaissait beaucoup la région en tant que résidents temporaires, ou à temps partiel. Alors quand on a décidé de devenir temps plein, c’était les mêmes gens qu’on côtoyait. On peut dire que la migration s’est très bien faite. On n’a pas eu d’embûches (Bmnéo 13).

On était déjà ici depuis 30 ans et le nombre de jours qu’on passait ici, c’était l’équivalent de six mois par année, parce qu’on passait toutes les vacances ici, toutes les fins de semaine, les vacances de Noël. À chaque fois qu’on avait plus qu’une journée de congé, on venait, parce qu’on adorait. Et nos enfants adoraient ça. […] Alors je connaissais déjà beaucoup de gens. Il n’y a pas eu de problème (Bmnéo 2).

Somme toute, ces trajectoires résidentielles laissent paraître que, pour les néo-ruraux des deux MRC, la campagne n’était pas un milieu totalement inconnu avant qu’ils s’y établissent en permanence. De plus, certains d’entre eux avaient déjà une bonne connaissance du milieu qu’ils ont choisi. Que ce soit parce qu’ils y ont passé leur jeunesse, ou parce qu’ils l’ont fréquenté dans le passé en tant que touristes, villégiateurs ou visiteurs chez de proches parents, les néo-ruraux possèdent, dans leur historique de vie, des liens avec le monde rural (Desjardins et Simard, 2009). Mais, dans l’ensemble, les trajectoires résidentielles des néo-Bromisquois semblent relativement plus homogènes que celles des néo-Arthabaskiens. Les premiers, qui se démarquent par les statuts d’ex-villégiateur et d’origine immigrée, ont entretenu et maintiennent toujours des liens étroits avec la ville, surtout la région métropolitaine de Montréal. En comparaison, les seconds ont vécu dans différents types de milieux urbains (métropoles, banlieues et villes moyennes) localisés à l’échelle de la province et leurs rapports avec la ville de Montréal semblent moins fréquents que chez les néo-Bromisquois. De plus, les néo-Arthabaskiens se caractérisent notamment par la présence de migrants de retour. Émergeant de la comparaison entre deux territoires, ces résultats portent à croire que des analyses plus approfondies mériteraient d’être entreprises quant aux rôles des trajectoires migratoires sur les rapports à la campagne et à la ville des néo-ruraux.

Des motifs de migration distincts

À l’image de la composition différente de la population néo-rurale des deux MRC, les motifs de migration se distinguent selon les territoires. D’après le sondage, les raisons qui les ont incités à s’établir en permanence en milieu rural sont relativement homogènes dans Brome-Missisquoi, alors que les attraits de la campagne dominent nettement (83 %) (figure 1). Parmi les attraits du milieu rural convoités par les néo-Bromisquois, on retrouve surtout trois éléments, à savoir les caractéristiques physiques du milieu, le rythme et le style de vie ainsi que le cadre idéal pour réaliser des projets personnels ou des rêves, comme le prouvent ces extraits d’entrevues :

Le site et l’atmosphère, la tranquillité et […] j’ai aimé ça, j’ai visité cette maison-là et je l’ai achetée dans une demi-heure, le terrain en arrière, c’est magnifique. Il avait la rivière, la vue sur la montagne et tout ça. Le terrain m’a emballé et ensuite j’ai rénové la maison (Bmnéo 14).

On avait une entreprise à Montréal et on voulait faire un changement de vie au niveau du rythme de vie. […] On avait des bureaux, des employés à Montréal, tout ça, ça fait qu’on a décidé de prendre comme un « break », entre guillemets, moi puis ma conjointe. […] On rêvait de s’installer en région (Bmnéo 7).

Une personne d’origine immigrée rajoute que les paysages montagneux de Brome-Missisquoi lui rappelaient des souvenirs d’enfance de son pays natal :

Il y a beaucoup de raisons. La principale, c’étaient les belles montagnes, également le beau paysage et puis une certaine liberté, parce que je suis une personne originaire de France, originaire aussi des montagnes, alors c’était un peu retrouver un certain paysage qui avait marqué mon enfance (Bmnéo 4).

Les entrevues ont également révélé que Brome-Missisquoi répond à plusieurs exigences évoquées par les retraités, à savoir la recherche d’un milieu de vie à la fois paisible, attrayant sur le plan des paysages et dynamique au point de vue communautaire. Rendus à cette étape de leur vie, les néo-ruraux à la retraite sont donc en quête de milieux ayant ces caractéristiques spécifiques, un phénomène qui semble généralisé dans d’autres pays occidentaux tels les États-Unis et la France (Brown et Glasgow, 2008 ; Guichart-Claudic, 2001). Les entrevues ont d’ailleurs souvent laissé sous-entendre que leur migration vers la campagne concorde avec leur projet de retraite et leur désir d’un style de vie différent, comme en fait foi ce répondant :

Pour moi, c’était mon projet de retraite, je voulais vivre à la campagne à partir du moment où nous prendrions notre retraite. Et c’est ce qu’on a concrétisé. […] C’est le style de vie, tout simplement. Dans le fond, c’est que la campagne, c’est tellement plus propice et associable [sic] avec la retraite. Pour moi, le facteur retraite dans le phénomène des néo-ruraux est une variable lourde, très, très lourde. C’est un autre style de vie, puis on veut avoir ce qu’on appelle la qualité de vie, mais elle est faite de quoi, la qualité de vie à la campagne ? C’est la tranquillité, plus ou moins le bon air ou le meilleur air, moins de bruit, un style de vie différent (Bmnéo 19).

Ce témoignage ainsi que les précédents retenus dans cette section sur les motifs, sont très représentatifs du discours des néo-Bromisquois qui mettent l’accent sur la recherche d’une qualité de vie. Ils décrivent celle-ci en se référant à la fois à des caractéristiques physiques et sociales de la campagne: beauté des paysages naturels et architecturaux ; proximité avec la nature et de vastes espaces ; air pur ; rythme et style de vie calmes ; esprit communautaire, convivialité, etc. Dans cette description, se décèle parfois une vision de la campagne nostalgique et idéalisée chez certains néo-ruraux à la recherche d’un cadre champêtre quasi bucolique. Ce constat coïncide d’ailleurs avec les résultats des chercheurs britanniques qui associent la notion de « rural idyll » au désir des migrants urbains d’accéder à un environnement physique et social répondant à leurs représentations de la campagne, particulièrement pour ceux faisant partie de la classe moyenne (Halfacree, 1996 ; Phillips, 1993 ; Smith et Phillips, 2001). En somme, les attraits de campagne dominent nettement dans les motifs ayant incité les néo-Bromisquois à s’installer de façon permanente en milieu rural, ce qui peut expliquer les faibles proportions d’entre eux qui ont justifié leur migration, a priori, sur des raisons familiales (12 %), professionnelles (5 %) ou encore financières (0 %).

Figure 1

Motifs de migration des néo-ruraux

Motifs de migration des néo-ruraux
Source : Données du sondage téléphonique réalisé auprès de 100 néo-ruraux dans Brome-Missisquoi et 80 néo-ruraux dans Arthabaska (INRS, 2006).

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En comparaison, les motifs de migration des néo-Arthabaskiens sont moins homogènes. Si les attraits de la campagne (60 %) demeurent le principal motif, les raisons professionnelles (19 %) et familiales (16 %) touchent particulièrement les jeunes et les adultes d’âges moyens selon le sondage. Ces différences entre les deux MRC s’expliquent surtout par les possibilités d’emplois qui existent dans Arthabaska, mais aussi par la présence notable de jeunes familles qui viennent élever leurs enfants dans un espace sain et sécuritaire. De plus, la migration de retour caractérise les néo-ruraux de cette MRC qui reviennent notamment pour se rapprocher de la famille et des amis ou encore pour des raisons de santé ou de travail. Les témoignages de ces trois interlocuteurs font foi de la diversité des motifs de migration dans cette MRC :

C’était pour faire de l’agriculture et on avait des belles priorités, c’est surtout les enfants. […] C’était un milieu propice pour élever les enfants avec d’autres valeurs […]. Ici, ils sont occupés, ils ont de l’ouvrage à faire les fins de semaine, les soirs de temps en temps. Ça leur apprend d’autres choses, ça les prépare à leur vie d’adulte plus facilement qu’en ville, il faut que tu sois rendu adulte avant. C’est un peu ça là, c’était surtout pour les enfants (Arnéo 6).

D’abord, j’ai de la famille ici. À Montréal, j’avais pas de frère, ni soeur. Puis disons que je n’étais plus capable de travailler [raisons de santé]. Comme je ne voyais pas vraiment un avenir là-bas, j’avais un petit peu de sous, alors je me suis dit : si je reste à Montréal pour ma retraite, je vais vivre trois ans avec ça. On a regardé dans le coin pour voir si je trouverais quelque chose [une propriété pour s’installer en permanence] (Arnéo 10).

Parce que j’ai de la famille ici. […] On a trouvé et on a aimé vraiment la place et on a décidé de s’installer ici pour commencer, parce qu’on voulait se réorienter et on voulait étudier dans le domaine de l’ébénisterie. C’est pour la famille. […] Mais c’est aussi le travail. J’avais plus de chance de trouver un travail ici dans le domaine du bois (Arnéo 21).

Fait notable à remarquer, seule une minorité de néo-ruraux dans les deux MRC de l’étude ont déménagé pour des raisons financières. Ces résultats s’apparentent donc à ceux obtenus en France (Cognard, 2001), en Angleterre (Halliday et Coombes, 1995), en Australie (Walmsley, Epps et Duncan, 1998) et au Québec (Roy, Paquette et Domon, 2005). Ces auteurs soutiennent tous que la recherche d’une qualité de vie et d’un mode de vie (lifestyle) justifie souvent la migration en milieu rural et qu’elle surpasse les motifs d’ordre financier et même professionnel et familial.

Quelques convergences et divergences sur le plan de l’insertion professionnelle

Les profils et les expériences migratoires des néo-ruraux sont différenciés selon les territoires, ce qui transparaît également sur le plan de l’insertion professionnelle. Précisons d’abord que selon le sondage, les travailleurs actifs comptent pour 41 % de la population néo-bromisquoise comparativement à 55 % de celle néo-arthabaskienne. Leur présence a assurément un impact dynamisant sur les milieux ruraux, tel que mis en évidence en France (Roussel, 2000). Au Québec, différents acteurs ruraux (néo-ruraux, ruraux de longue date[16], dirigeants d’organismes et élus municipaux), interrogés dans le cadre de notre recherche, reconnaissent l’apport indéniable des néo-ruraux qui mettent au profit du milieu rural leurs compétences professionnelles spécialisées ainsi que leurs réseaux de contacts (Simard et Guimond, 2010). 

Les trois principaux secteurs d’emplois des néo-ruraux actifs des deux MRC sont pratiquement les mêmes, mais dans un ordre inversé. Dans Brome-Missisquoi, ces emplois se retrouvent surtout dans les arts, culture, sport et loisirs (24 %), puis en sciences sociales, enseignement et administration publique (17 %), et en sciences naturelles et appliquées (12 %). Remarquons que le secteur des arts est surreprésenté chez ces néo-ruraux comparativement à l’ensemble de la population active de Brome-Missisquoi pour qui il n’est que de 3 % (Statistique Canada, recensement de 2006). Les entreprises culturelles[17] sont fort présentes dans la MRC de Brome-Missisquoi, ce qui attire une population néo-rurale à la fois productrice et consommatrice d’arts et de culture (Bricault et Simard, 2008 ; Simard et Bricault, 2009). À l’inverse, les principaux secteurs d’emplois chez les néo-Arthabaskiens sont les sciences sociales, l’enseignement et l’administration publique (18 %) et les sciences naturelles et appliquées (14 %), alors qu’ils ne comptent que pour 9 % dans les arts, culture, sport et loisirs. La place de la culture et des arts est donc moins prégnante dans les emplois des néo-ruraux de cette MRC, une tendance confirmée par les entrevues qualitatives.

C’est sur le plan de la catégorie de travailleurs que s’observent les principales différences entre les nouveaux ruraux des deux MRC, alors qu’un peu plus des deux tiers (68 %) des néo-Bromisquois actifs sont des travailleurs autonomes et 32 % sont employés par une entreprise privée ou par le secteur public. C’est exactement le phénomène inverse qui se remarque dans Arthabaska, alors que seul près d’un tiers (32 %) des néo-ruraux y sont des travailleurs autonomes et que plus des deux tiers (68 %) sont employés par une entreprise privée, le secteur public et par une coopérative. La présence d’un emploi avant même de s’installer en milieu rural a influencé la migration de certains, surtout les néo-Arthabaskiens, comme l’attestent ces répondants qui ont migré dans cette MRC pour des raisons professionnelles avant tout :

C’est juste le travail. […] Pour avoir l’emploi, il fallait déménager [dans la localité]. Si je ne déménageais pas, je n’avais pas l’emploi. C’est un choix qu’on a fait (Arnéo 13).

Je travaille en région. […] Le bureau chef est à Montréal, mais je couvre le territoire du Centre-du-Québec, Estrie, Appalaches, jusqu’à Québec. Cela fait que je me suis installé ici, dans le coeur du territoire finalement. […] C’était bien situé, puis je limitais un peu plus les kilomètres mensuels, versus partir de Montréal à tous les matins, puis prendre les hôtels, rester en région quelques soirs par semaine. Cela me convient mieux (Arnéo 24).

En outre, plusieurs néo-ruraux profitent de leur venue à la campagne pour réaliser des projets professionnels. En effet, la grande participation au travail autonome, plus particulièrement dans Brome-Missisquoi, laisse présumer que pour plusieurs d’entre eux, la campagne offre un cadre idéal pour l’actualisation d’un projet professionnel, tel que déjà observé en Europe (Saleille, 2007, 2006 ; Stockdale, 2006). Propres aux milieux ruraux, les caractéristiques « géo-démographiques » (ex. : faible densité) et « socio-culturelles » (ex. : rapport de proximité entre les gens) entraînent des pratiques de gestion particulières pour les petites entreprises, comme l’évoque Shields dans sa recherche menée aux États-Unis (2005). Certains de ces attributs attirent sans doute les néo-entrepreneurs « avec des motivations plus existentielles qu’économiques » (Saleille, 2007, p. 77). En entreprenant de tels projets, comme démarrer une entreprise agricole, une firme de consultant ou une cyberentreprise[18], les néo-ruraux semblent en quête d’un mode de vie alternatif, axé sur les valeurs familiales, l’autosuffisance et la réalisation de soi[19]. Pour ces entrepreneurs, le travail autonome comporte des avantages éminents, dont la qualité de vie, l’autonomie et la proximité avec les enfants, tels que révélés par ces extraits d’entretiens réalisés dans Brome-Missisquoi :

Les avantages, on a un grand espace à nous, on est presque autonome sur notre ferme. Puis maintenant on est capable de tout faire d’ici, ou presque, avec Internet. On a une belle qualité de vie. […] Les espaces sont beaux, les écoles sont bonnes [pour les enfants] (Bmnéo 25).

Il y a un avantage marqué de travailler de la maison. Les enfants ont une présence paternelle à la maison tout le temps. Pour la famille, c’est idéal. Au point de vue carrière, c’est peut-être moins bon, mais pour la famille c’est idéal. Puis pour l’instant, c’est notre première priorité, la famille (Bmnéo 13).

Dans Arthabaska, le désir d’autonomie et de meilleure qualité de vie ressort également, comme en témoigne ce répondant qui déplore les bas salaires de la région :

On va créer nos emplois. C’est ça qu’on est en train de faire, c’est de partir quelque chose plus de la maison parce que les salaires, c’est ça qui n’a pas d’allure ici, 9 $ pour faire des emplois qui sont extrêmement physiques (Arnéo 8).

Ce dernier extrait d’entrevue montre que le travail autonome peut aussi apparaître comme une solution pour les néo-ruraux actifs qui n’avaient pas d’emploi avant de migrer en permanence à la campagne, et ce, dans les deux MRC. Certains furent désillusionnés par les salaires moins élevés qu’en ville et la non-reconnaissance de leur niveau de scolarité et d’expertise. Ces difficultés les pousseraient donc à créer leur propre emploi qui, conséquemment, répondrait davantage à leurs critères.

La localisation des emplois témoigne à la fois de la grande mobilité des nouveaux résidents, mais aussi du fait que plusieurs d’entre eux travaillent depuis leur domicile, et ce, plus particulièrement dans Brome-Missisquoi. En effet, d’après le sondage, le principal lieu de travail de près de la moitié (46 %) des néo-Bromisquois actifs se situe à leur domicile. On voit là, de toute évidence, l’effet des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) qui permettent aux gens de travailler à distance, qu’ils soient travailleurs autonomes ou salariés pratiquant le télétravail. Ainsi, l’accès à Internet haute vitesse peut être un facteur déterminant dans la décision de migrer à la campagne, un constat documenté par Solidarité Rurale du Québec, à la suite d’une vaste enquête qu’elle a menée auprès d’urbains en 2009. Malgré les efforts collectifs soutenus, plusieurs municipalités rurales québécoises accusent toujours un retard en ce sens, ce qui nuit assurément à leur attractivité, notamment chez les travailleurs à domicile et les entrepreneurs potentiels.

Les autres néo-Bromisquois actifs travaillent, pour leur part, dans la MRC de Brome-Missisquoi (29 %) ou dans une autre MRC (25 %). Certains font la navette vers des centres urbains (ex. : Montréal ou Sherbrooke) pour soit rencontrer des clients ou leur employeur basé en ville, maintenir un réseau de contacts ou encore s’approvisionner en biens nécessaires au bon fonctionnement de leur projet entrepreneurial. Ils le font ou sporadiquement ici et là pendant le mois, ou encore temporairement pour la durée d’un contrat. Par contraste, la plus faible participation au travail autonome dans la MRC d’Arthabaska explique le fait que le principal lieu de travail de seulement 18 % des néo-Arthabaskiens se situe à leur domicile. Le quart (25 %) occupent leur emploi dans leur municipalité de résidence. Les autres sont plus mobiles alors que 30 % travaillent surtout ailleurs dans la MRC d’Arthabaska ou dans une autre MRC (27 %). Cette mobilité n’est toutefois pas un choix pour certains, ce que trouve déplorable ce néo-Arthabaskien qui doit s’exiler hebdomadairement pour travailler :

Je ne travaille pas dans la région ici, je travaille à Montréal, Québec, Trois-Rivières... […] Il faut que je change encore [d’emploi] parce que j’ai trois enfants, ça fait que partir le lundi matin et revenir vendredi soir, c’est pas l’idéal..., je ne suis pas là finalement [Arnéo 8].

Les différents statuts d’emploi des néo-ruraux actifs, tout comme leurs lieux de travail, mettent en évidence le besoin de pousser ultérieurement la réflexion entourant l’insertion professionnelle des nouvelles populations rurales. Si Brome-Missisquoi semble attirer davantage des travailleurs autonomes, Arthabaska accueille, quant à elle, majoritairement des salariés des secteurs privé et public. La disponibilité des emplois dans Arthabaska semble un facteur d’attraction chez les néo-ruraux de cette MRC, mais il n’en demeure pas moins que certains d’entre eux, particulièrement les jeunes, éprouvent des difficultés dans leur recherche d’emploi. De plus, les entrevues réalisées dans les deux MRC ont permis de déceler à quel point les néo-ruraux sont affectés par la non-reconnaissance de leurs diplômes et expertises, ce qui entraîne une déqualification manifeste et une baisse des salaires. Ces résultats s’apparentent sensiblement à ceux décrits dans la littérature nationale et internationale concernant les difficultés de reconnaissance des compétences et d’insertion professionnelle éprouvées par les immigrants en région (Jentsch et Simard, 2009). Le défi des territoires ruraux demeure donc de fournir des emplois qualifiants pour tous, permettant de progresser dans la carrière professionnelle.

Une insertion sociale nuancée

L’insertion sociale des néo-ruraux n’est pas chose simple à cerner puisqu’elle touche plusieurs aspects de leur vie à la campagne, notamment l’accueil et l’installation, les réseaux, la participation dans la communauté ou les liens entretenus avec l’ensemble de la population locale. À cette étape-ci de la recherche, c’est par la participation locale, d’abord à titre de simples membres ou spectateurs et ensuite, comme bénévoles, que sera examinée la question de l’insertion sociale dans les deux MRC. Il fut déjà démontré que la participation aux activités locales et l’implication bénévole dans la vie associative et politique sont une importante contribution des néo-ruraux (Roussel, 2000 ; Veilletteet al., 2008). Cela se manifeste dans les deux territoires étudiés, mais de façon différenciée.

La quasi-totalité (95 %) des néo-Bromisquois interrogés prennent part à des activités et à des évènements locaux dans leur municipalité ou dans leur MRC – surtout ceux reliés aux arts, à la culture et à l’histoire (spectacle, vernissage, évènement artistique, etc.). Les entrevues ont permis d’approfondir cette tendance majeure et de préciser que plusieurs motifs sont à l’origine de cette participation, dont ceux de développer de nouveaux contacts profitables à leur insertion professionnelle, de faciliter leur insertion sociale et de maintenir des services diversifiés répondant à leurs besoins. Cependant, l’importance de rencontrer des gens et de socialiser grâce à la participation locale s’avère cruciale. Elle constitue une stratégie d’insertion évidente dans leur nouveau milieu de vie :

C’est juste de sortir de chez nous un peu parce qu’on a tendance à plus rester à la maison quand on est à la campagne. C’est de rencontrer des gens aussi, des amis. C’est une occasion de se rencontrer. C’est plus l’aspect social, puis d’aller voir des bons spectacles, ou de participer, savoir ce qui se passe aussi (Bmnéo 7).

I go to church for religious reasons, for musical reasons, for social reasons, I mean, interaction with people. The theatre, it’s a combination of wanting to have the cultural experience and support for local communities. Curling was for exercise and camaraderie. And yoga is for the spirit (Bmnéo 11).

C’est le réseautage, apprendre, comprendre la réalité de la place où j’habite, comprendre pourquoi les choses se passent comme telles, et me garder active aussi (Bmnéo 24).

En comparaison, la participation est légèrement moindre dans Arthabaska, avec un peu plus des trois quarts (79 %) des néo-ruraux actifs, comme membres ou spectateurs, dans des activités ou des évènements dans leur MRC. Leur assistance aux diverses fêtes locales, aux activités reliées aux arts et à la culture, ainsi qu’aux activités sportives est marquée. Tout comme les néo-Bromisquois, cette participation est motivée principalement par le désir de socialiser et de s’intégrer dans leur milieu :

Il y a le Festival du fromage. Ça c’est intéressant. Il y a des bons groupes, puis aller déguster des fromages, puis c’est le fun. Moi je joue gros au hockey, puis ça me permet de voir du monde, justement de jaser des jobs, tu sais, c’est l’intégration. Ça fait un petit bout que je suis parti, mais c’est sûr qu’il y a de mes chums qui sont là-dedans [dans les activités où je participe] (Arnéo 1).

Bien, [ma participation me permet] de connaître d’autre monde, de connaître d’autres façons de faire, de faire des connaissances diversifiées. Il y a des gens de tous les milieux (Arnéo 6).

En ce qui a trait à l’implication en tant que bénévole, le sondage indique que deux tiers des néo-Bromisquois (66,0 %) font du bénévolat dans un ou plusieurs organismes de leur MRC notamment en raison du temps disponible découlant de leur statut de retraité. Parmi ces nouveaux ruraux bénévoles, un peu plus de la moitié (52 %, soit 34 cas) disent s’engager entre autres dans des associations artistiques ou culturelles (tableau 1). On remarque ici une concordance entre les organisations d’engagement, les secteurs d’emplois et les domaines d’études des nouveaux ruraux qui sont souvent liés aux arts visuels et aux arts d’interprétation. Des auteures canadiennes, d’ailleurs, ont déjà évoqué à quel point la campagne attire de façon croissante des artistes en quête de milieux propices à la création et à la poursuite de leur art (Bunting et Mitchell, 2001). Les néo-ruraux contribuent ainsi, par leur présence, à consolider ces activités artistiques et culturelles et à assurer leur pérennité, comme le soulignent Bricault et Simard (2008) et Simard (2008b).

Chez les néo-Bromisquois qui font du bénévolat, un peu plus du tiers (38 %, soit 25 cas) s’impliquent au sein d’associations sociales et communautaires, notamment des clubs d’âge d’or ou des organismes d’aide auprès de personnes défavorisées, âgées ou malades. Fait intéressant, 20 % (13 cas) s’engagent dans des associations environnementales, dont des fiducies foncières, des parcs environnementaux ou auprès d’organismes de conservation ayant pour objectif de valoriser, de rendre plus accessibles et de protéger des sites naturels (ex. : mont Pinacle, massif des monts Sutton ou baie Missisquoi). Les entrevues réalisées, par la suite, auprès des diverses populations rurales (néo-ruraux, ruraux de longue date, dirigeants d’organismes et élus municipaux) ont laissé clairement apparaître que la présence des néo-ruraux favoriserait une sensibilisation et une volonté de préserver l’environnement naturel, la beauté des paysages, ainsi que le patrimoine architectural des milieux ruraux (Simard et Guimond, 2010). Ce type de sensibilisation et d’engagement chez les néo-ruraux a été fréquemment mentionné dans la littérature étrangère (Mormont et Mougenot, 2002).

Les attitudes et les pratiques protectionnistes et engagées des néo-ruraux peuvent parfois créer des conflits autour des divers usages du milieu rural[20], mais aussi être une source d’alliances et de collaborations. C’est ce que démontre Simard dans son article comparatif entre le Québec, la France et le Royaume-Uni (2007). Ainsi, des néo-ruraux peuvent s’associer à des ruraux de longue date pour militer ensemble dans une cause vouée à la protection d’une richesse locale (marais, montagne, etc.). Parfois, ce sont des visions idylliques et romantiques de la campagne qui semblent motiver l’implication des néo-ruraux sur le plan de l’environnement. Dans d’autres cas, ce serait plutôt la recherche d’un équilibre et d’une harmonie entre les multiples usages de l’espace rural comme l’illustrent ces deux témoignages :

Je suis impliqué dans la sauvegarde de la nature. Moi, je me suis installé ici parce que je voulais un coin calme. Je voulais un coin où il peut y avoir un équilibre entre un village et soit une exploitation agricole autour, ou une exploitation bien pensée, en somme, des forêts (Bmnéo 15).

J’ai rencontré un groupe de gens pour qui c’était vraiment important de respecter la beauté particulière de cette région-ci et de pas s’en aller vers un Mont-Tremblant, je dirais d’essayer de voir ce qui est spécifique à [nom de la municipalité], qui est probablement cette ambiance, ce mélange montagne, champêtre, qui probablement a attiré beaucoup de monde, puis qui nous paraissait être un peu en péril […] C’est plus de trouver un moyen d’harmoniser le développement, surtout immobilier, avec les caractéristiques de la région, ses paysages. […] C’est une chose de sortir puis de râler contre ce qui se passe, mais là de rencontrer du monde qui avait les mêmes préoccupations que moi, ça m’a motivée pour donner de mon temps, puis de mon énergie à fond. Puis on a fondé [nom d’un organisme environnemental] (Bmnéo 21).

Par contraste avec Brome-Missisquoi, seul un tiers (34 %) des néo-Arthabaskiens interrogés lors du sondage s’impliquent bénévolement dans des organisations du milieu, ce qui pourrait notamment s’expliquer par la présence de jeunes adultes ayant peu de temps en raison de leurs charges professionnelles et familiales. C’est d’ailleurs dans les associations pour les jeunes, tels les comités de parents ou d’école, qu’ils s’impliquent davantage (37 %, 10 cas). En outre, 30 % (8 cas) sont bénévoles dans des associations politiques alors que 26 % (7 cas) sont actifs dans des associations sociales et communautaires, surtout celles venant en aide aux personnes âgées ou démunies. Comparativement à Brome-Missisquoi, une proportion moindre de néo-Arthabaskiens s’impliquent dans des organismes liés aux arts et à la culture (11 %, 3 cas). Cette différence pourrait être partiellement attribuée à l’embourgeoisement rural que connaît Brome-Missisquoi, territoire qui semble attirer, entre autres, des gens de classes moyennes ou aisées (villégiateurs, touristes et néo-ruraux) avides d’arts et de culture (Guimond et Simard, 2010). Par contre, tout comme les néo-Bromisquois, les néo-ruraux d’Arthabaska font partie d’associations environnementales dans des proportions sensiblement équivalentes (19 %, 5 cas).

Dans les deux MRC, les néo-ruraux ont insisté sur le fait que la construction du réseau social passait non seulement par la participation à des activités locales, mais également par l’action bénévole. Ces deux extraits d’entrevues en font foi et révèlent la place cruciale du bénévolat tant dans leur processus d’insertion que dans leur attachement au territoire :

Je dirais que si tu veux t’impliquer, c’est facile. Si tu restes chez toi, c’est comme partout ailleurs, et si t’embarques dans les associations, que tu fais du bénévolat, c’est sûr que tu vas rencontrer des gens puis automatiquement tu vas te créer un réseau social. C’est pour ça aussi qu’on voulait embarquer dans plein de choses (Arnéo 4).

Il faut s’impliquer parce que, si on s’implique pas, les gens viennent pas sonner à la porte. Alors je pense que c’est l’utilité principale de tous ces groupes et associations. C’est sûr qu’il y a un but opérationnel, […] mais c’est aussi des groupes sociaux. Alors, si on veut avoir le sentiment qu’on appartient, il faut s’impliquer parce que s’il n’y a pas ça, on reste tout seul (Bmnéo 18).

Des études montrent bien que l’espace associatif peut créer de nouveaux liens entre individus et groupes sociaux, voire les renforcer (Fortin, 1993, p. 134). En somme, dans les deux MRC, la participation locale, qu’elle soit en tant que simple membre ou bénévole actif, se trouve être une stratégie d’insertion et de réseautage, tout comme c’est le cas chez les personnes d’origine immigrée en milieu rural (Simard, 1995). Elle leur permet à la fois de rencontrer des gens, de se familiariser avec le milieu, de se construire un réseau de contacts amicaux ou professionnels, ainsi que de mettre à profit leurs expériences et expertises pour la communauté. Sachant que le rapport des nouveaux arrivants aux membres de la communauté d’accueil est inévitablement teinté par leurs expériences et réseaux antérieurs, comment sont alors reçues localement ces nouvelles ressources et contributions ? Entraînent-elles une mixité inédite engendrant une ouverture, une diversification des réseaux et des liens d’amitié entre nouveaux et anciens ruraux ? Ce questionnement de fond mériterait des investigations plus poussées.

Tableau 1

Les organisations dans lesquelles les nouveaux ruraux participent comme bénévoles actifs

 

Brome-Missisquoi

Arthabaska

 

N

N

Artistiques ou culturelles (salle de spectacle ou de théâtre ; société d'histoire ; bibliothèque)

34

3

Sociales et communautaires (club d’âge d’or ; organisme d'aide auprès de personnes défavorisées, âgées ou malades)

25

7

Environnementales (fiducie foncière ; groupe environnemental ; organisme de conservation)

13

5

Pour les jeunes (maison des jeunes ; garderie ; école)

12

10

Politiques (conseil municipal ; comité de citoyens ; comité consultatif)

8

8

Sportives (club de randonnée pédestre ; équipe sportive)

6

4

Économiques ou professionnelles (chambre de commerce, association des gens d'affaires)

4

3

Religieuses

4

1

Autres

5

1

Total

111*

42

* Puisque les néo-ruraux bénévoles ont identifié plusieurs activités dans lesquelles ils s’impliquaient, celles-ci ont été comptabilisées dans un seul tableau afin de faciliter la présentation des données. En fait, on compte un total de 66 néo-Bromisquois (sur 100) activement engagés bénévolement et 27 néo-Arthabaskiens (sur 80).

Source : Données du sondage téléphonique réalisé auprès de 100 néo-ruraux dans Brome-Missisquoi et 80 néo-ruraux dans Arthabaska (INRS, 2006).

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La principale contribution de cet article réside dans la comparaison des néo-ruraux de deux MRC québécoises, puisqu’elle montre bien la complexité du phénomène contemporain de la recomposition sociodémographique des campagnes. Qui plus est, les grandes tendances dégagées, tant en ce qui a trait au profil des néo-ruraux qu’à leurs expériences migratoires et leur insertion professionnelle et sociale, confirment le postulat initial d’hétérogénéité des nouvelles populations rurales. Après un bref rappel des principaux constats, cette conclusion s’attardera sur quelques leçons à tirer de l’analyse ainsi que sur certaines pistes de réflexion.

Les résultats de la recherche indiquent que les néo-ruraux de Brome-Missisquoi se distinguent du fait qu’ils se situent généralement à une étape plus avancée de leur vie et qu’ils s’établissent en milieu rural pour vivre un projet de retraite caressé depuis longtemps. Ce projet semble souvent alimenté par des séjours de villégiature antérieurs dans cette MRC. De ce fait, ils ont une bonne connaissance de leur milieu et ils ont davantage de temps à consacrer à l’implication bénévole que les jeunes, notamment au sein des organisations artistiques et culturelles locales. Il ne faut toutefois pas négliger la présence de travailleurs actifs, jeunes et adultes d’âges moyens, dans cette MRC, plus particulièrement les travailleurs autonomes qui sont aussi à la recherche d’une qualité de vie. Ce sont les attraits du milieu rural, se traduisant entre autres par la possibilité d’un autre rythme de vie, qui dominent clairement dans le choix résidentiel de tous ces néo-Bromisquois. Généralement plus jeunes, les néo-ruraux d’Arthabaska ont des trajectoires résidentielles et des motifs de migration plus hétéroclites qu’à Brome-Missisquoi. Aussi attirés par les attraits de la campagne, mais également par des raisons professionnelles et familiales, les néo-Arthabaskiens se démarquent par la présence de migrants de retour qui ont effectué des séjours prolongés en milieu urbain et qui ont fait le choix de revenir s’installer en permanence dans cette MRC. Afin de faciliter leur processus d’insertion sociale et professionnelle, les néo-ruraux des deux MRC ont mis en évidence l’importance déterminante de la participation communautaire, à titre de simple membre ou spectateur ou en tant que bénévole.

La comparaison entre les deux MRC permet donc d’identifier diverses expériences migratoires et des catégories de néo-ruraux variées, tels les jeunes, adultes d’âges moyens, retraités, travailleurs actifs, ex-villégiateurs, personnes d’origine immigrée ou migrants de retour. Ces deux portraits ne sont indubitablement pas exhaustifs de la néo-ruralité au Québec, mais ils font bien ressortir l’importance d’explorer les manifestations multiformes de ce renouveau pour la compréhension de ce phénomène dans son ensemble. En outre, l’analyse comparative attire l’attention sur la nécessité d’étudier cette situation dans les campagnes avec toutes les nuances nécessaires, pour éviter des généralisations trop hâtives.

La complexité du repeuplement, ne manque pas de poser de nouveaux défis tant pour les décideurs locaux que pour les communautés rurales, notamment sur le plan de la cohésion sociale et du développement durable. Il faut, entre autres, se questionner sur le regard et les pratiques de l’ensemble de la population rurale face aux mutations que connaît leur milieu. La perception de l’« autre » tout comme les interactions réelles entre néo-ruraux, ruraux de longue date, dirigeants d’organismes et élus municipaux permettront ainsi de mettre en relief, dans les analyses ultérieures, aussi bien les antagonismes et contradictions que les zones potentielles de rapprochement et de solidarité entre ces acteurs variés.

Afin d’avoir une vision plus globale de ce phénomène, des recherches futures devront également approfondir l’effet d’autres dimensions structurelles qui affectent ce mouvement actuel d’urbains vers les campagnes, dont le rôle des représentations du milieu rural véhiculées par les médias et le discours populaire, les valeurs sociétales dominantes où la recherche d’une qualité de vie semble primer, et ce, tant chez les jeunes que chez les retraités baby-boomers, l’impact des NTIC, etc. Il ne faut donc pas se satisfaire de la seule perspective comparative des territoires et de leurs facteurs tant attractifs, que de rétention et d’insertion pour mettre en lumière cette transformation rurale.

À l’évidence, l’interpénétration croissante de l’urbain et du rural s’accentue avec cette mutation sociodémographique des campagnes, de sorte que cela oblige à redéfinir leurs nouveaux rapports émergents. Assistons-nous à l’éclosion d’une nouvelle ruralité où s’affirme une mixité sociale et culturelle inédite ? Ou bien voit-on la transposition d’un mode de vie urbain qui risque de créer des clivages et de creuser encore plus les inégalités sociales et spatiales entre divers groupes sociaux ? S’agit-il d’un nouveau rapport à l’espace rural et à la nature combiné à une quête de « vivre autrement » selon une vision originale de la qualité de vie ? Ou plutôt est-ce la manifestation d’une homogénéisation ou encore d’une juxtaposition des modes de vie urbains et ruraux ? Un questionnement sur la redéfinition de la ruralité contemporaine et ses configurations variées s’impose corollairement.

Il faut repenser les catégories du rural et de l’urbain, et en évaluer la pertinence dans l’analyse des migrations de la ville à la campagne et des mutations sociales, économiques et culturelles qui en résultent. Ces notions s’avèrent de plus en plus ambiguës et confuses avec la diversification des populations rurales, l’augmentation des mobilités, la multiplication des usages de la campagne, de sorte qu’il faut pousser la réflexion théorique à leur égard pour y apporter un certain renouvellement. Cet éclairage nouveau sur la recomposition sociodémographique des campagnes combiné à ces réflexions critiques permettront de mieux saisir la dynamique d’ensemble de la société rurale qui devient de plus en plus complexe en ce début de XXIe siècle.