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Territoires. Le Québec : habitat, ressources et imaginaire est la publication qui accompagne l’exposition permanente du Musée de la civilisation qui a ouvert ses portes le 19 septembre 2007. Cet ouvrage est avant tout un livre d’images destiné aux visiteurs et au public en général : il contient près de 200 magnifiques illustrations, dont 126 en couleurs, certaines pleine page. Marie-Charlotte De Koninck parle avec raison de l’« éloquence de l’iconographie » : le résultat extraordinaire d’un travail exhaustif de ratissage accompli par Manon Pouliot. Les textes sont signés par des universitaires chevronnés, mais si la problématique territoire / identité vous est familière, la plupart sont des déjà lus. Pour les besoins de la publication, le territoire est défini comme « l’espace de l’homme » (p. 12) qu’on a bien pris soin d’enfermer à l’intérieur des frontières politiques actuelles du Québec. Or, il est question de géographie humaine – des traces du passé toujours existantes, des lieux témoins d’une culture et des représentations qu’on en a faites – une discipline qui en fait transcende toute frontière politique.

Certains articles sont essentiellement des catégorisations, tel est le cas pour celui sur la toponymie qui prend en compte le paysage, la faune et la flore, la mythologie amérindienne, le passé et la diversité culturelle. Le chapitre sur le cinéma adopte une perspective à partir du temps et de l’espace : plus on avance dans le temps, plus l’espace se rétrécit. Les premiers créateurs avaient une vision continentale et, à partir des années 1960, celle-ci est essentiellement centrée sur le Québec, ses régions et ses villes et, depuis peu, sur un Québec « multiphone » dorénavant habité par plusieurs mondes.

Le fleuve Saint-Laurent et ses affluents, les villes et villages bâtis pratiquement en continu sur les rives de ces nombreux cours d’eau, les immensités peu peuplées et les ressources naturelles dispersées forment l’ossature qui permet aux diverses collectivités de délimiter leur propre territoire, leur « pays », le lieu où l’on vit et où l’on se sent bien. Les actions portées sur ce territoire sont multiples : on le parcourt, l’admire, l’écrit, le chante, le cartographie, le représente, et on en exploite toutes les ressources quelles qu’elles soient.

Deux articles méritent d’être commentés plus longuement. Le premier concerne le concept de paysage que l’on trouve de plus en plus associé à celui de territoire. Autrefois, le mot même de paysage sous-entendait le magnifique et le grandiose, mais pas aujourd’hui. Le texte de Philippe Poullaouec-Gonidec (p. 19-23) est particulièrement stimulant. L’auteur y parle de « relation affective », de « valorisation », mais aussi d’« instabilité » parce que « soumis […] à des transformations excessives du territoire » dues à l’hypermodernité de notre société fortement urbanisée. Montréal, là où vit la moitié de la population du Québec, lui sert d’exemple. Adopter un format binaire – beauté/laideur ou propreté/saleté – pour débattre de l’enjeu montréalais lui semble simpliste. Selon Poullaouec-Gonidec, il s’agit plutôt d’une question identitaire, de milieu de vie, d’appartenance : environnement hétérogène, intéressant composé de figures hybrides dans le « ventre » de Montréal et dans ses banlieues. Il est impitoyable au sujet du paysage périurbain à la merci de promoteurs immobiliers qui ont réussi à créer des non-lieux, un entre-deux qui n’est ni ville ni campagne et qui, parfois, ressemble à des décors de théâtre ou de cinéma.

Le second article se distingue non seulement par le fond, mais aussi par la forme. Il s’agit d’« Un territoire à l’image des sociétés qui ont fait le Québec » de Serge Courville (p. 37-45). Dans ce texte, il est fidèle à lui-même : non seulement raconte-t-il, mais encore explique-t-il de façon claire et sans fioritures. Un excellent exemple d’un travail universitaire à la portée de tous ! Pour en expliquer la diversité, Courville organise le territoire québécois en strates qui tantôt se côtoient, tantôt se superposent. Ces strates correspondent aux sociétés qui ont façonné les Québécois d’aujourd’hui. Même si peu de traces de l’occupation amérindienne d’antan persistent, ces populations nous ont inculqué coûte que coûte le respect de la nature. À l’époque préindustrielle, « les organisations humaines correspondent aux découpages du milieu physique » : deux territoires – les seigneuries divisées en censives et les cantons –, deux sous-régions – Québec, centre administratif, et Montréal, tête de pont vers l’Ouest – et deux milieux de vie – la ville et la campagne (p. 39). L’occupation de l’espace se transforme radicalement à partir du milieu du XIXe siècle. Le gouvernement abolit les seigneuries et les remplace par des municipalités, alors que naissent les commissions scolaires. Les réseaux routiers et ferroviaires se développent rapidement, donnant accès aux importantes ressources forestières et minières de l’arrière-pays. Les hameaux et villages se multiplient. Dans le contexte d’une démographie décroissante et du développement accéléré du secteur tertiaire des années 1960, la population délaisse les plateaux et se dirige vers les villes centrales et régionales les plus importantes. Courville conclut en ouvrant sur les questions du vieillissement de la population, de la mondialisation des marchés, de la surconsommation de l’espace qui, selon lui, marquent, encore une fois, la fin d’une époque. « Quelles que soient les solutions que [le Québec] retiendra […] elles marqueront le territoire. [Puisque celui-ci] est une construction sociale, un regard que la société pose sur son devenir, avec les connaissances, les idées et les représentations de son époque » (p. 45).