Symposium Critique

La culture publique commune : une notion vagueStephan Gervais, Dimitrios Karmis et Diane Lamoureux, Du tricoté serré au métissé serré ? La culture publique commune au Québec en débats, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2008.[Record]

  • Bernard Gagnon

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Ce collectif réunit les contributions de quinze chercheurs universitaires de différents horizons disciplinaires (sociologie, science politique, droit, philosophie) autour de la notion de culture publique commune. L’ouvrage jette un regard critique sur ce concept, il évalue les significations politiques et philosophiques, de même que les effets pratiques, de la culture publique commune au Québec. Dès la première ligne, le livre accorde la paternité du concept de culture publique commune au sociologue Gary Caldwell et au père Julien Harvey. Selon l’introduction, l’expression de Caldwell et Harvey a connu une grande influence dans les réflexions sur le pluralisme et la diversité culturelle au Québec (on note en particulier son rôle dans la définition de la politique d’intégration des immigrants de 1990), et elle « hante » toujours le débat sur la question. Cette notion se différencie de celle de culture de convergence popularisée par Fernand Dumont au début des années 1980 et de celle d’identité civique et citoyenne avancée à la fin des années 1990 par le Conseil des relations interculturelles. La spécificité de la notion de culture publique commune est celle d’une intégration citoyenne grâce à la valorisation d’un noyau de valeurs communes historiquement et culturellement déterminées. Malgré l’appel à cette notion, le constat majoritaire qui se dégage de la lecture du livre est celui d’une déconstruction en règle de la culture publique commune ; ce n’est qu’avec précaution et timidité que certains auteurs de l’ouvrage acceptent de reprendre à leur compte le concept avancé par Caldwell et Harvey. Pour de nombreux contributeurs, l’idée selon laquelle la culture et les valeurs (comprises, ici, en un sens ethnoculturel et anthropologique) puissent être la source du lien social ou d’une identification commune à la société contredit les exigences actuelles du pluralisme identitaire et culturel au Québec. L’idée d’un point de rencontre culturel, assimilé par Caldwell à la tradition gréco-judéo-chrétienne, se bute à l’idée selon laquelle le pluralisme s’accompagne de conceptions diverses de ce qu’est la vie bonne : des valeurs portées par certains individus et certains groupes qui, parfois, peuvent être incompatibles les unes avec les autres, mais qui peuvent néanmoins cohabiter pacifiquement dans un cadre démocratique (la citoyenneté) et civique (les chartes des droits et libertés) sans qu’il soit nécessaire d’entrevoir un consensus, par ailleurs irréaliste, autour de valeurs communes. La culture étant déjà en soi une source de difficultés quand il est question de trouver une allégeance commune à la société, le fait d’y accoler l’épithète « publique », loin de répondre à ces difficultés, en rajoute. Cette lecture nous conduit à penser dès lors que la culture s’impose comme une « injonction » de l’autorité publique qui en est le garant ultime. La culture publique commune se bute au paysage diversifié d’une société démocratique pluraliste dans laquelle les frontières entre le privé et le public ne sont jamais clairement définies, et dans laquelle les luttes sociales consistent à se défaire des contraintes, des préjugés et des discriminations issus des rapports de pouvoir et qui, plus souvent qu’autrement, sont régulièrement transposés au sein même de l’appareil étatique. Sur cet échafaudage quelque peu vacillant, l’ajout de « commune », pour former l’expression consacrée de « culture publique commune », ouvre une troisième difficulté concernant sa compatibilité avec la diversité culturelle, sociale, de génération et de classe inhérente aux sociétés contemporaines. L’expression, en insistant sur le commun, porte le risque de mettre en veilleuse la parole de ceux et de celles (les immigrés, les exclus, les femmes, les pauvres) dont les combats pour la justice et la liberté consistent à déconstruire ce qui est défini comme étant de l’ordre du sens commun, mais …