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Cette monographie sur le développement de la région de La Pocatière au Bas-Saint-Laurent s’appuie de toute évidence sur une recherche très fouillée et une analyse très fine qui permet de remonter en 1827 avec la fondation du premier collège classique dans la région. Cependant, cette monographie, aussi intéressante et fournie soit-elle, répond d’abord à un objectif d’avancée théorique. L’étude se situe en effet explicitement dans la perspective des « systèmes régionaux d’innovation ». Cette dernière, à l’instar de plusieurs autres approches du développement régional contemporain, met les dynamiques territoriales au coeur du potentiel de développement régional. Du point de vue des « systèmes régionaux d’innovation », la capacité de l’économie régionale de faire face au défi de l’innovation dans une économie ouverte dépend de la densité des relations entre les différents acteurs du territoire (entreprises, institutions, gouvernements locaux, etc.). Comme l’expliquent les auteurs, les travaux dans la perspective des systèmes régionaux d’innovation ont porté presque exclusivement sur les régions métropolitaines où la densité du tissu socioéconomique est nettement plus évidente qu’en milieu non métropolitain. L’étude de Doloreux et Dionne part justement du principe que la perspective des « systèmes régionaux d’innovation » peut aussi être utile dans les régions situées hors des centres métropolitains, en particulier pour comprendre la dynamique de développement à La Pocatière.
L’application du cadre d’analyse des « systèmes régionaux d’innovation » (dans leur analyse de La Pocatière, les auteurs préféreront parler d’un « système local d’innovation ») à un milieu non métropolitain laisse entrevoir un double piège omniprésent dans la littérature sur le développement régional contemporain. Ce piège serait d’une part celui de passer outre aux différences majeures de contexte entre la métropole et les milieux plus excentrés comme si on pouvait calquer les systèmes régionaux d’innovation. Le piège inverse serait de magnifier ces différences en donnant l’impression que les phénomènes d’innovation sont réservés aux milieux métropolitains. Les auteurs évitent largement ce double piège. Ils commencent par faire prendre conscience au lecteur des difficultés particulières auxquelles font face les milieux non métropolitains, qui n’empêchent pas pour autant la possibilité de systèmes territorialisés d’innovation dans les milieux périphériques, qui y existent bel et bien. Nécessairement, ces systèmes ne seront pas la reproduction exacte de ceux que la littérature a repérés dans les milieux métropolitains. L’étude fine du cas de La Pocatière suggère, effectivement, que les caractéristiques de ces systèmes se démarquent en milieu périphérique, ne serait-ce que par la présence déterminante des institutions plutôt que par celle du secteur privé. Le répertoire de systèmes d’innovation en milieux non métropolitains que les auteurs annexent à la fin de la monographie permet également de constater que La Pocatière n’est pas un cas isolé et qu’on peut retrouver dans les régions périphériques canadiennes et européennes des expériences dont les trajectoires sont assez distinctes de celles des systèmes d’innovation métropolitains.
Ce livre ouvre un chantier très porteur pour le développement régional. Certes, comme peu de travaux ont fait appel à la perspective des « systèmes territoriaux d’innovation » pour analyser les milieux non métropolitains, il y a d’importants vides à combler. S’intéresser à la réalité hors métropole permet de commencer à combler ce vide mais également de se préoccuper des milieux où les conditions pour l’innovation sont difficilement réunies, où elle est fragile et doit par conséquent être maintenue par des efforts constants. Il me semble ainsi que de telles études pourraient même contribuer en quelque sorte à raffiner la grille d’analyse elle-même de façon à tenir compte de ces conditions singulières. Les auteurs ne problématisent pas vraiment la grille en ce sens mais par leur monographie sur La Pocatière, ils ouvrent sûrement la voie à d’autres qui pourraient le faire.