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« Ce livre n’est pas un traité académique ou une étude scientifique », écrit Victor Armony dans l’avant-propos de son livre, « mais un essai sociologique qui reflète mon propre point de vue » (p. 10). L’objectif du livre ainsi circonscrit, on peut se lancer dans une lecture fort intéressante, amusante et éclairante du « vivre ensemble » au Québec. En fait, ce livre peu prétentieux et très accessible est une véritable trousse d’or. On y trouve des observations et réflexions perspicaces d’un (ancien) immigrant au Québec, une richesse d’informations sur la société québécoise (d’une personne qui s’y connaît), des expériences et mini-études originales d’un professeur qui s’amuse, du savoir analytique d’un sociologue et l’écriture d’un enseignant expérimenté. En tant qu’ancienne immigrante au Québec, je m’y retrouve. En tant que professeure en milieu bilingue, j’espère qu’il y aura une traduction anglaise. Elle sera certainement utile pour stimuler le débat entre les étudiants francophones et anglophones.
Dans un style narratif et personnel, Armony propose une analyse sociologique de la société québécoise en quatre étapes. Dans le premier chapitre, il se penche sur l’image du Québec « face au monde » (p. 184). En donnant la parole aux immigrants, il y aborde, d’une façon amusante, la rencontre entre l’immigrant nouvellement arrivé et la société d’accueil : les premières impressions et les malentendus inévitables. L’auteur explique non seulement le Québec aux immigrants, mais il jette également un regard éclairant sur les motivations, l’espoir et la peur des immigrants. Ainsi, il expose la réalité immigrante aux Québécois qui n’ont pas pu faire cette expérience. Par la suite, Armony donne la parole aux Franco-Québécois. Il les laisse expliquer, en toute subjectivité, leur histoire, leur identité et leur rapport, si complexe, à la langue française. Le lecteur prend connaissance des rapports sociaux inégalitaires (Québec/France et Franco-Québécois/Canadiens anglais) qui ont fait de la langue un élément clé de l’identité québécoise. Il comprend mieux l’ambiguïté du « bien parler » au Québec et le raisonnement derrière les lois linguistiques. Il peut se mettre dans la peau d’un Québécois francophone. En même temps, il est amené à développer de l’empathie pour les choix linguistiques des immigrants. Armony rend plus clairs les enjeux pour les uns et pour les autres. Il facilite ainsi le dialogue.
Si la langue est au centre du deuxième chapitre, le rapport Québec/Canada anglais et le projet souverainiste constituent le noyau du troisième. Sans proposer des réponses définitives à des questions hautement politisées, Armony aborde les craintes des immigrants (d’une rupture politique, d’une baisse économique, etc.) et leur grande confusion devant deux récits d’histoire « nationale » fondamentalement distincts. Il explique les stéréotypes qu’entretiennent beaucoup de Canadiens anglais vis-à-vis les Franco-Québécois et leur projet de société. Il raconte également les positions idéologiques véhiculées au Québec sur « les fédéralistes » et (ou) les Canadiens anglais. Armony situe ces discours dans des rapports de pouvoir où, comme chez une poupée russe, les rapports entre majoritaires et minoritaires s’emboîtent les uns dans les autres. Ainsi, le lecteur comprend que les Franco-Québécois, bien que majoritaires au Québec, sont une minorité au Canada. Ce rapport dominant structure d’une manière importante la façon dont les Franco-Québécois perçoivent et reçoivent les immigrants.
Le dernier chapitre est consacré aux rapports entre le Québec et ses minorités internes. L’auteur met l’accent sur Montréal comme lieu privilégié des relations interculturelles. Il se penche surtout sur les rapports entre les Franco-Québécois et la minorité juive comme « troisième solitude » du Québec. À titre d’exemple, le cas des Juifs est fort éclairant et justifié dans l’optique des débats récents sur les « accommodements raisonnables ». Après tout, l’entente sur le givrage des vitres conclue entre un YMCA montréalais et une école juive hassidique avoisinante (afin d’empêcher les élèves de voir les femmes faire de l’exercice en tenue sportive) est souvent évoquée par ceux qui pensent que le Québec serait allé « trop loin » dans son accueil des minorités religieuses. Néanmoins, il aurait été souhaitable, dans ce chapitre, de donner une place plus importante aux « minorités visibles ». On pense, par exemple, à certains groupes d’immigrants francophones qui sont racialisés et marginalisés malgré leurs compétences linguistiques. L’absence des Autochtones est également frappante, surtout quand on aborde, comme l’auteur le revendique, le rapport des Franco-Québécois avec l’« autre du dedans » (p. 184).
Dans Le Québec expliqué aux immigrants, l’auteur n’apporte pas, nous l’avons dit, de réponses définitives. Au contraire, il invite les immigrants à participer au débat et à la construction de leur nouvelle société. Armony offre au lecteur – issu de l’immigration ou non – une série d’informations utiles sur le Québec, des pistes de réflexion et une initiation à la pensée sociologique. Il accomplit tout cela sans nous ennuyer avec un lourd traité académique.