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Cet ouvrage a été réalisé pour accompagner l’exposition du même nom, produite par Bibliothèque et Archives nationales du Québec et présentée entre le 21 novembre 2006 et le 27 mai 2007 à la Grande Bibliothèque de Montréal. Lise Bissonnette, présidente-directrice générale de cette institution, en signe d’ailleurs la préface. Il s’agit d’un livre grand format sur papier glacé de fort belle qualité. Abondamment illustré, l’ouvrage réunit autour de Paul Aubin (chercheur autonome affilié au Centre interuniversitaire d’études québécoises de l’Université Laval), une dizaine de collaborateurs, spécialistes de l’éducation, de l’histoire et de la bibliothéconomie. Outre l’introduction signée de la main d’Aubin, ce collectif est divisé en dix chapitres. En fin de volume, on retrouve aussi une bibliographie générale, les notices biographiques des auteurs, l’avant-propos du commissaire (Aubin) traduit en anglais (document officiel oblige), la liste des artefacts exposés ainsi que la liste des illustrations utilisées dans l’ouvrage.
Le peu de reconnaissance des manuels scolaires dans la production littéraire québécoise et la piètre connaissance que nous avons de leur histoire ont été, dans une certaine mesure, les deux incitatifs à mettre sur pied l’exposition et à publier ce livre. Pourtant, depuis des siècles déjà, les manuels scolaires occupent une « part de marché » importante dans la production de livres tant au Québec qu’ailleurs. Les auteurs postulent en fait que les manuels ne sauraient être que de simples outils aux mains des enseignants et des élèves. Bien plus, ils sont, selon eux, de véritables miroirs de la société. En quelque sorte les diverses contributions qu’on retrouve ici en font la démonstration.
Mais qu’entend-on par manuel scolaire ? Il s’agit de « tout livre ou tout cahier d’exercices servant à comprendre et à mémoriser les connaissances telles qu’elles sont explicitées dans les programmes rédigés par les autorités compétentes et destinés aux élèves des niveaux préuniversitaires » (p. 21). Le plus souvent mal aimés, les manuels scolaires n’en sont pas moins les témoins de leur époque. Leurs contenus en disent long non seulement sur les matières privilégiées par l’éducation nationale mais aussi sur les valeurs cardinales d’une époque et sur les méthodes d’enseignement recommandées. Plus précisément, ils paraissent donc remplir tout à la fois des fonctions pédagogiques, idéologiques et économiques (un nombre important d’éditeurs et d’auteurs vivent de cette industrie parfois assez lucrative).
Tout au long des chapitres, le lecteur peut ainsi découvrir le trésor que représente la collection de manuels scolaires de l’Université Laval (chapitre 2), les diverses formes que prend le manuel (chapitre 3), les productions destinées à différentes populations d’élèves (autochtone, anglo-catholique, entre autres). Il peut aussi prendre connaissance des productions relatives à certains domaines d’apprentissage : la lecture, le dessin industriel et artistique, le catéchisme. Le chapitre neuf, sous la plume de M. Lajeunesse, aborde quant à lui la question du manuel comme outil de formation des enseignants, à savoir le manuel de pédagogie. On y suit alors l’évolution des écoles normales mais surtout celle des différentes moutures des manuels de formation des maîtres, tentatives de systématisation des savoirs pédagogiques. Enfin, on découvrira aussi que, si le Québec a beaucoup emprunté à l’Europe (et, surtout, à la France), il a aussi parfois exporté des manuels produits ici dans différents pays et ce, dès le début du vingtième siècle. Dans le dixième chapitre, rédigé par Aubin lui-même, on prend conscience que les manuels québécois se sont nourris d’influences multiples provenant d’un peu partout dans le monde occidental.
Dans un chapitre à saveur plus « théorique » (chapitre onze), A. Choppin analyse le phénomène des manuels scolaires depuis un peu plus de cent ans en le resituant dans le cadre des sociétés démocratiques où la scolarisation de masse entraîne une demande de plus en plus grande pour les outils nécessaires à l’enseignement et à l’apprentissage. Il soutient avec justesse : « Vecteur de valeurs qui s’inscrivent dans des objectifs politiques, moraux, religieux, idéologiques, esthétiques, le plus souvent implicites, le manuel fonctionne à la fois comme un filtre et comme un prisme, révélant l’image que la société veut donner aux jeunes générations d’elle-même et de son histoire » (p. 136). Plus encore, nous sommes d’accord avec l’auteur lorsqu’il affirme qu’en tant que principal support à l’initiation à la lecture, le manuel scolaire a longtemps joué un rôle majeur dans la construction identitaire des collectivités. Même s’il joue encore ce rôle, le manuel doit aujourd’hui le partager avec les médias (radio, télévision, journaux, Internet, etc.). Il n’en demeure pas moins que les manuels scolaires apparaissent bel et bien pour ce qu’ils sont ici : des instruments de pouvoir politique.
Les manuels scolaires sont peu connus au-delà d’un cercle très restreint d’initiés et ce collectif vient combler une lacune à cet égard. Ouvrage de belle facture aux multiples facettes et, ce qui n’est pas négligeable, de lecture agréable, 300 ans de manuels scolaires au Québec sauront intéresser quiconque est quelque peu curieux du monde de l’éducation. On se plaît à souhaiter une plus large diffusion des recherches sur la question car, à n’en pas douter, une meilleure compréhension de l’histoire des manuels scolaires, de leurs contenus, des liens que ceux-ci entretiennent avec leur époque, des rapports entre les différents acteurs concernés par cette production et cette diffusion, ne pourrait que contribuer à améliorer notre compréhension générale du Québec passé et présent.