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Énième livre sur la mondialisation, cette collection de textes entend se justifier par son croisement avec le thème du fédéralisme. Un pari qui n’est que partiellement gagné. Presque toutes les contributions offrent également en toile de fond une comparaison du cas canadien avec la situation européenne ; on s’en tiendra ici aux éléments impliquant la situation québécoise. Envisagée sous l’angle de la transformation de la régulation politique, la mondialisation devient, selon le mot de Duchastel, une « sortie politique du politique », formule qui emprunte à Gauchet dans son étude du christianisme comme religion de « sortie du religieux », et dont l’interprétation n’était possible qu’après coup, si l’on peut dire, puisqu’il aura fallu presque deux millénaires pour qualifier ainsi la transformation. Nulle distanciation semblable ici : même si la mondialisation est un phénomène moins récent qu’on le croit habituellement, les processus qui la constituent sont loin d’être achevés. Quoi qu’il en soit, l’hypothèse proposée en introduction avance que les États nationaux sont les principaux acteurs de ce réalignement qui favorise la finance internationale. À part peut-être celui de B. Théret, les textes rassemblés n’étoffent pourtant pas cette proposition sobre et plausible.
Nouvelle alliance politique avec la finance qui réoriente les investissements de l’État vers l’extérieur de ses frontières, la mondialisation traduit d’abord, selon Théret, un redéploiement territorial. Du point de vue des relations internes, cependant, elle transforme l’État en une simple machinerie administrative opérant les adaptations « nécessaires » au développement « inévitable » des marchés financiers ; c’est la soi-disant urgence de réformer l’État-providence. En contexte spécifiquement canadien, la mondialisation peut paradoxalement servir à contrer l’hégémonie des États-Unis : Ottawa s’en réclame alors pour transformer l’unilatéralisme américain en un multilatéralisme au sein duquel il compte jouer un important rôle. En un mot, il mobilise le libéralisme économique pour sauvegarder, voire renouveler, son indépendance politique. Le Canada apparaît ainsi doublement servi par la mondialisation : prétexte et moyen d’affirmation sur le plan international, elle lui procure en outre la principale justification de ses politiques vis-à-vis des provinces. Une situation pour le moins instable, car le désengagement de l’État-providence accroît inévitablement les inégalités sociales et ce sont désormais les provinces qui, se réclamant des valeurs sociales-démocrates, défendent l’idéal de citoyenneté égalitaire jusque-là promu par Ottawa. Entre le modèle proposé par le souverainisme québécois, où la nation se définit à l’échelle provinciale, et celui mis de l’avant par le gouvernement fédéral, qui se prétend national, un troisième axe s’ajoute donc, et l’ensemble sous tensions n’a pas encore atteint un nouvel équilibre. De sorte qu’il est encore trop tôt pour constater la présumée « sortie du politique ».
Les contributions de M. Guibernau et de P. Resnick n’offrent pas d’interprétations nouvelles par rapport à leurs écrits antérieurs respectifs. Le premier répète que la mondialisation exerce une pression telle sur l’État-nation qu’elle favorise l’émergence et la consolidation d’unités politiques de rechange, telles les nations sans État. Mais il n’explique pas pourquoi l’éventuelle reconnaissance internationale de ces nouveaux acteurs politiques mondiaux ne saurait faciliter leur accession à l’indépendance, ni ne discute en quoi le fédéralisme pourrait être un facteur jouant dans un sens ou dans l’autre. Quant à P. Resnick, il reprend sa comparaison du cas canadien avec d’autres États fédéraux multinationaux concernant le sentiment d’appartenance des nationalités qui les composent. Les nationalités majoritaires s’identifient à l’État central comme seul État légitime – modèle fédéral –, tandis que les nationalités minoritaires se caractérisent par une loyauté partagée, ou exclusive à leur groupe minoritaire – modèle confédéral. Si le fédéralisme est bien au rendez-vous de sa réflexion, en revanche, l’impact de la mondialisation brille plutôt par son absence.
D’autres contributions mettent l’accent sur des conceptions nouvelles ou concurrentes de la citoyenneté, sans s’embarrasser ni du fédéralisme ni de la mondialisation. J. Jenson et M. Papillon avancent, par exemple, que les revendications des Cris de la Baie-James auraient contribué à ébranler la notion d’une citoyenneté neutre et universelle, fondée sur les seuls droits individuels. Il faut cependant admettre qu’on en voit difficilement l’impact sur les politiques gouvernementales. Dans le registre théorique, I. Angus appelle de ses voeux des discours institutionnels qui seraient pleinement « post-coloniaux », c'est-à-dire capables de fonder une démocratie radicale admettant comme légitimes tous discours sur la nation et toutes traditions sans exception, et sans non plus les intégrer hiérarchiquement les uns aux autres. Mais si tout devient significatif, autant dire que rien ne l’est plus, et l’on reste perplexe quant aux avancées de cette démocratie radicale.
En bref, l’ouvrage tient difficilement la promesse de son titre. Lorsque les auteurs traitent explicitement de la mondialisation, ils s’intéressent peu ou pas au fédéralisme, aux diverses réalités liées à ce système politique. Quand, à l’inverse, la dynamique des différents paliers de gouvernement propre au fédéralisme est prise en compte, c’est l’impact de la mondialisation qui disparaît, même de l’arrière-plan. Tant et si bien que l’ensemble devient un peu comme l’aveu d’une mésalliance thématique.