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Cet ouvrage important est la réédition, revue et augmentée, du Dictionnaire des suicides qu’Éric Volant avait fait paraître, chez le même éditeur, en 2001. Il comporte plus de quatre cents entrées, près d’une centaine d’articles s’étant ajoutés à la première édition. La bibliographie sélective qui clôture l’ouvrage est enrichie d’une quinzaine de titres par rapport à la précédente. Il n’existe, à notre connaissance, aucun ouvrage équivalent dans le monde francophone : il faut en saluer la réédition.

Comment qualifier ce « dictionnaire » ? Il témoigne au premier chef de l’effort soutenu de son auteur, sur plus de vingt ans, pour comprendre le suicide à travers les âges et les cultures et, surtout, de sa générosité à s’interdire que ce savoir accumulé ne bénéficie qu’à lui seul. Professeur retraité associé au Département des Sciences des religions où il a enseigné à partir de 1980 jusqu’en 1991, après avoir enseigné pendant dix ans à la Faculté de théologie de l’Université de Montréal, Éric Volant est préoccupé par le suicide depuis le début des années quatre-vingt, question qui s’inscrit naturellement dans son enseignement qui porte essentiellement sur l’éthique. On imagine bien la patience qu’il aura fallu afin de donner une forme systématique à cette « quantité industrielle de notes éparses, relatives au suicide, qui dormaient paisiblement dans [s]es tiroirs », et la persévérance nécessaire, une fois l’entreprise lancée, pour tenir le pari de composer un « dictionnaire ». Alors qu’une petite industrie de la suicidologie s’est mise en place durant la période où, patiemment et en solitaire, Éric Volant accumulait des notes de lecture, voici que la petite bibliothèque du Québec enrichit le savoir universel d’un ouvrage qui est le fait d’un seul homme ! Il y a là quelque chose de réjouissant.

Ouvrage d’un seul homme, ce dictionnaire n’est pas à proprement parler un ouvrage d’auteur, quelle que soit la singularité du parcours réflexif qu’il donne à voir. Il faut beaucoup d’humilité pour se lancer dans pareille entreprise car ce genre de publication doit trop à la science universelle pour que le lecteur en ressorte avec le sentiment d’avoir lu une thèse singulière attribuable à une seule auteurité. Ce n’est pas non plus un dictionnaire habituel, qui met normalement à contribution une armée de chercheurs, experts en leur domaine, produisant chacun leur article. L’ouvrage retrace le parcours solitaire et tourmenté d’un homme à la recherche du sens du suicide.

Comment rendre compte logiquement de ces quelque quatre cents entrées en un volume ? La plupart d’entre elles comportent un ou plusieurs renvois à d’autres articles, offrant ainsi au lecteur la possibilité d’un parcours sémantique cohérent, bien que circonscrit. Un décompte approximatif dénombre une majorité d’entrées historiques, relatant les suicides de personnes plus ou moins connues, de l’Antiquité à nos jours, où Dédé Fortin et Kurt Cobain côtoient Cléopâtre, Socrate et Caton. L’histoire de la réflexion sur le suicide y est abondamment représentée : un lecteur méthodique pourra y retracer l’évolution de la pensée humaine sur le suicide. L’auteur a parcouru ce chemin, c’est évident. Au chapitre de la science du suicide, le lecteur que je suis n’a rien trouvé à redire des comptes rendus des diverses typologies élaborées de Durkheim à Baechler. Maintes entrées sont consacrées aux dimensions sociales qui composent, ici comme ailleurs et d’hier à aujourd’hui, la physionomie du suicide (jeunes, vieillards, femmes, Autochtones, etc.). L’« éthique des nombres », ouvertement et exagérément réprouvée par l’auteur, apparaît quand même à la faveur des entrées sociétales (Québec, Canada, France, États-Unis, etc.). On se prend à déplorer le manque de tableaux (en annexe, par exemple) qui auraient retracé l’évolution du suicide sur le siècle, observant au passage la naissance du suicide jeune. C’est que l’auteur envisage d’abord et avant tout le problème éthique que pose le suicide, son appartenance problématique et pourtant entière à l’humanité, raison pour laquelle les grandes conceptions religieuses, culturelles et philosophiques y figurent d’une manière importante. L’attirail épidémiologique n’est cependant pas en reste (alcoolisme, jeu, armes à feu, risque, etc.), mais Volant n’y insiste pas, comme il ne se prive pas du malin plaisir de relever « l’hostilité latente, mais rarement avouée, que couvre le terme de prévention », lui pour qui le suicide « accompagne l’humanité comme son ombre ». Notons que, en dépit de la forme « dictionnariale » et du sujet possiblement morbide, l’écriture n’est jamais austère ; plusieurs passages frappent le lecteur par leur beauté. Quoi qu’il en soit, le ton qui domine la rédaction de ces nombreuses entrées sur le suicide est tout de respect, d’explicitation, de patience compréhensive. On devine que ces entrées furent d’abord des notes de lecture où Volant s’expliquait à lui-même ce que d’autres avaient compris. Car il faut comprendre le suicide, voyez-vous ?

S’il faut inscrire cet ouvrage à l’enseigne d’une tendance, c’est à celle de l’école humaniste. D’où le problème éthique qui tourmente l’auteur, comme en fait foi l’article sur l’« Éthique » (coincé entre celui sur les « États-Unis » et celui sur l’« Europe » !) qui domine (quantitativement) toutes les autres entrées (12 pages, en comparaison de 6 pour l’article second en importance). Les mots sur lesquels s’ouvre la rubrique « Éthique » pourraient servir d’épigraphe à tout le livre, et on croit y déceler la motivation profonde de l’auteur : « C’est faire oeuvre éthique que d’étudier les diverses théories morales sur le suicide et d’examiner la manière dont divers discours moraux ont tenté de déchiffrer les rapports souvent paradoxaux entre vie et mort, nature et raison, individu et société. » Issu des sciences religieuses, Éric Volant est tourmenté par le suicide. De cet ouvrage il ressort, nous semble-t-il, paisiblement inquiet. Il nous livre, au total, ce qui aurait bien pu s’intituler : Comprendre le suicide. Mais le titre était déjà pris. On a envie de dire merci.