Ce numéro de Recherches sociographiques porte sur un objet classique de la sociologie : le suicide. Pourtant, c’est le premier numéro thématique jamais consacré à ce sujet par l’une ou l’autre des grandes revues de sociologie au Québec. Qui plus est et sauf erreur, aucune d’entre elles n’a publié à ce jour un seul article spécifiquement consacré au suicide contemporain ou au réexamen de la question du suicide à partir de là. Cela est significatif : la sociologie québécoise contemporaine a laissé à d’autres le soin de remettre sur le métier son ouvrage, abandonnant un de ses objets de prédilection à une pratique d’intervention, la suicidologie, qui accompagne le suicide contemporain davantage qu’elle ne le comprend. Ce numéro se propose d’abord tout simplement de renouer avec une vieille tradition sociologique. Son titre indique l’abord de la question. Le cas québécois est envisagé ici moins en lui-même qu’en tant que révélateur d’un phénomène qui appartient entièrement au monde contemporain. La « distinction » québécoise, on le verra, ressort grandement atténuée de cet examen dans la mesure où sa spécificité consiste en ce que s’y trouvent amplifiés les traits d’un mouvement général qui s’étend à ce qu’on pourrait appeler la « civilisation » moderne. Les articles qui suivent forment un ensemble où sont intégrées les dimensions de la recherche habituellement traitées séparément : la statistique descriptive et comparative, les analyses statistiques, l’étude des cas concrets de suicide à travers des histoires de vie, la critique de la littérature. Sur cette base, une interprétation du suicide contemporain, tel qu’il se donne à voir à partir du laboratoire que constitue notre société, est mise en avant. Afin de préciser les termes de cette interprétation, explicitons d’abord la manière dont la question du suicide est ici appréhendée. Le point de départ de toute recherche sur le suicide est donné par le sens commun. La sociologie partage la préoccupation de ceux qui habitent le monde contemporain d’ici et qui, par exemple, sont choqués par le surgissement remarquable du suicide des jeunes. Notre discipline y répond simplement d’une manière spécialisée en s’attachant tout d’abord à préciser les contours du phénomène qui a frappé le commun des mortels. Elle y parvient par le biais de la statistique descriptive et comparative, procédé artisanal dont des techniques aussi sophistiquées que l’analyse multi-niveaux ne sauraient faire l’économie. Bien sûr, cette mise en forme méthodique de l’objet s’attarde à la validité des indices de mesure dont elle se sert pour établir des taux fiables ou procéder à des comparaisons. Mais là n’est pas son but, comme les conditions d’asepsie optimales ne sont pas celui d’une opération chirurgicale. L’objectif premier de la statistique descriptive est l’identification de la physionomie du suicide contemporain. Si cette statistique descriptive procède de chiffres pour prendre la dimension du suicide, ce phénomène elle le dessine d’une manière qui soit reconnaissable, qui ressemble au monde vécu, et non à l’équation de Schrödinger. Pour utiliser le langage de Weber, elle s’intéresse à la personnalité historique d’un phénomène, à sa singularité. Or, cette attention à la physionomie du suicide contemporain visant à établir sa singularité est déjà une interprétation. Cela est illustré par le fait qu’il y a, dans ce travail d’établissement du portrait du suicide, une dimension « archéologique ». « Le » suicide contemporain se compose de plusieurs types de suicide : certains sont si incompréhensibles ou si individuels qu’ils ne ressemblent qu’à eux-mêmes, alors que d’autres sont vieux comme le monde ; il y en a des typiquement modernes et pré-contemporains, et parmi les contemporains, on en retrouve de différents types. Cette restitution de l’objet qu’accomplit la …
Appendices
Bibliographie
- Clain, Olivier, 2001 « Le suicide des jeunes hommes au Québec : un cas de fatalisme ? », dans : Les solutions sociales de l’inconscient, Paris, Anthropos, 181-201.
- Durkheim, Émile, 1967 [1897] Le suicide, Paris, Presses Universitaires de France.
- Gratton, Francine, 1996 Les suicides d’êtres des jeunes québécois, Sainte-Foy, Presses de l’Université de Québec.
- Tousignant, Michel et al., 2003 « Le suicide chez les hommes de 18 à 55 ans : trajectoires de vie », Revue québécoise de psychologie, 24, 1 : 145-159.