Cet ouvrage est important, d’abord pour son analyse bien documentée des nombreuses et diverses luttes qui ont eu lieu à Montréal au cours des années 1973-2003 relativement à la sauvegarde du patrimoine, mais surtout pour les avenues de réflexion qu’il dégage concernant l’évolution de la notion du patrimoine bâti au Québec. En effet, si ces luttes ont été importantes dans l’émergence et l’affirmation d’une identité montréalaise, l’évolution durant cette période des préoccupations de la population par rapport à son cadre de vie tend à confirmer qu’aujourd’hui la question du patrimoine ne peut plus être abordée à la lumière des notions traditionnelles. Les dernières phrases de la conclusion sont d’ailleurs prégnantes à cet égard, avançant l’hypothèse que « la patrimonialisation, davantage incarnée dans les acteurs que par des objets, pourrait s’étendre à une vision de ce que nous voulons devenir » (p. 323). L’introduction de l’ouvrage précise que l’étude porte principalement sur le processus par lequel un patrimoine identitaire montréalais a été formulé et constitué, reconnaissant d’emblée qu’au cours de ces trois décennies, la notion du patrimoine bâti a rapidement évolué, passant du monument historique au bien culturel, du patrimoine culturel au paysage culturel. En témoignent en résumé les luttes pour la sauvegarde de la maison Van Horne, du couvent des Soeurs grises, du domaine des Sulpiciens et celles de la conservation et de la mise en valeur du Vieux-Port et du mont Royal. Cette notion du patrimoine s’est ainsi éloignée graduellement du « monument » à conserver pour son ancienneté et ses qualités esthétiques pour se préoccuper notamment de l’impact des grands courants économiques qui ont marqué la vie collective et l’environnement dans lequel cette dernière a évolué. C’est dans ce sens que l’intérêt pour le patrimoine industriel qui, comme expression et matérialisation d’une nouvelle économie de production, a laissé des formes urbaines et architecturales marquantes dans le paysage montréalais, a pris ces dernières décennies une importance grandissante dans la métropole québécoise. Ainsi, dans le Vieux-Montréal, la conservation des magasins-entrepôts de la rue Saint-Pierre a été préférée à la reconstitution de la maison mère des Soeurs grises. Dans cette optique, Martin Drouin montre clairement que Montréal a emprunté durant cette période un chemin différent de celui de l’État québécois. Au moment même où le gouvernement du Québec tentait en effet de raffermir les racines françaises de la culture québécoise en se lançant dans la très controversée reconstitution de la place Royale dans la vieille capitale, Montréal, la ville marchande, davantage exposée aux influences extérieures, empruntait une tout autre voie. Il apparaît évident sous cet éclairage que si la maison Van Horne avait servi de résidence à un patriote méritant, Québec n’aurait jamais consenti à sa démolition. Mais les Montréalais se sont mobilisés pour d’autres valeurs, notamment pour protéger l’élégance de la rue Sherbrooke. Dès le début de cette saga, les dés étaient jetés : les Montréalais ne se battraient pas tellement pour affermir leurs racines culturelles françaises et britanniques de part et d’autre mais bien pour protéger et mettre en valeur un milieu de vie distinctif issu du mélange de ces deux cultures, un héritage dense, diversifié et complexe. C’est cet héritage unique que le maire Jean Drapeau, dans son enthousiasme pour faire la promotion de la « métropole du progrès », n’a pas su apprécier. Du point de vue de la méthodologie de recherche, l’auteur soutient que les articles de journaux sont « les documents les plus compatibles avec les objectifs d’une telle recherche » (p. 25). Si ces articles sont essentiels et réussissent par leur nombre à alimenter abondamment cette étude, ils ne constituent pas la seule source …
Martin Drouin, Le combat du patrimoine à Montréal, 1973-2003, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2005, 386 p.[Record]
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Jean-Claude Marsan
École d’architecture,
Université de Montréal.