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À l’heure où les annonces d’investissements massifs du géant du jeu vidéo Ubisoft défraient la manchette – « Ubisoft investit 454 millions au Québec », titrait Le Devoir, février 2007 – tout effort pour rendre intelligible un tel développement en sol québécois mérite notre attention. C’est dans ce contexte que l’étude de Mira Falardeau trouve une partie de sa pertinence. L’intérêt de son sujet dépasse toutefois la seule sphère du jeu vidéo, car il concerne un pan de savoir-faire québécois encore peu examiné dans de grandes synthèses, soit celui du façonnage d’un imaginaire visuel propre à notre époque, ici sous sa forme filmique. L’auteure s’était déjà attelée en 1994 à un même type de défrichage du côté de la bande dessinée québécoise. Son présent ouvrage s’adresse à un large public, et s’affaire à éclairer comment et pourquoi le Québec s’est imposé dans le domaine de l’animation, une forme de cinéma relativement boudée par les études cinématographiques, et qui a partie liée avec l’épanouissement actuel du jeu vidéo. La méconnaissance du cinéma d’animation, dit souvent « image par image » car il suppose en général une simulation du mouvement contrôlée au photogramme près, commande donc pour l’auteure la mise en place d’une introduction tant technique qu’esthétique et industrielle, afin de faciliter la compréhension des processus évolutifs qu’elle décrit subséquemment.
Les premiers chapitres effectuent un large détour par « Les débuts du cinéma d’animation » et « Les techniques du dessin animé » ; ce détour, bien que justifié, a toutefois le heurt de cumuler les erreurs factuelles (dont l’orthographe de noms propres), ainsi que les interprétations questionnables. À titre d’exemples, le fusil photographique de Marey se trouve attribué à Muybridge (p. 12) ; Chomon et Blackton se voient affublés du titre d’« inventeurs du principe de l’animation » (p. 20), de quoi voir Émile Reynaud – pourtant précité – s’animer dans sa tombe, tout comme d’autres précurseurs ; la bande dessinée, datée obstinément du Yellow Kid en 1895 (p. 22) malgré les débats historiographiques récents reculant sa datation (Groensteen et Peeters, 1994), recouperait l’animation parce que, « dans les deux cas, il s’agit d’images en mouvement » (?!) (p. 21). Les méprises de ce type se font cependant moins présentes plus l’ouvrage avance. Le propos prend davantage son envol au quatrième chapitre, lorsque l’auteure aborde le fait central dans l’essor de l’animation au Canada et au Québec, soit l’instauration d’une section « animation » vraiment opérante au National Film Board (par la suite, l’Office national du film [ONF]), un mandat qui incombe à Norman McLaren en 1942. Il reste toutefois que le parti pris de Falardeau de considérer l’animation dans un relatif isolement par rapport aux autres pratiques cinématographiques, et surtout par rapport à certains faits de société, ne permet pas d’apprécier pourquoi au juste ce terreau particulier a permis l’épanouissement de cet art. Les deux guerres mondiales du siècle dernier, à peine effleurées dans son étude, infléchirent pourtant fortement à la fois l’animation et le cinéma canadien. Le conflit de 1914-1918 vit l’adoption du cinéma comme outil de propagande et d’instruction civique et militaire, l’animation étant aussi mise à contribution ; l’hécatombe de 1939-1945 relança ces pratiques, mais cette fois l’ingérence britannique motiva le Canada à réclamer un plus grand contrôle sur sa production cinématographique, alors même que les prérogatives fédérales dans plusieurs domaines prenaient elles aussi de l’ampleur dans la tourmente. L’animation est devenue, pour Ottawa, un véhicule censément bénin d’éducation citoyenne « d’un océan à l’autre ». L’ingénuité pressentie de ce mode d’expression céda heureusement très vite le pas à la complexité poétique et esthétique des oeuvres animées de McLaren et ses collègues, l’aspect le plus valorisé par Falardeau dans son regard rétrospectif sur les productions de l’ONF. Bien que ce survol tienne parfois du dithyrambe – la chercheuse a les superlatifs et les points d’exclamation faciles – , plusieurs éloges sont ici largement mérités et guideront le lecteur avide de connaître quelques films clés de ce corpus imposant.
La suite de l’étude, dévolue aux importants développements québécois en matière d’animation de séries télévisées et de mise à profit de l’outillage informatique, établit la filiation entre la pépinière de compétences de l’ONF, le secteur privé et la recherche et le développement technique. Voilà où devient explicite la jonction avec la manne d’Ubisoft, et l’auteure se montre ici plus à l’aise et habile dans l’exposé succinct d’évolutions intervenant sur plusieurs plans (structurel, économique, industriel). La valeur du livre ne réside donc pas tant dans l’étreinte de son survol historique, pas toujours assurée, que dans sa démonstration (un peu tardive) de l’établissement d’une expertise canadienne et québécoise sur l’échiquier actuel de l’animation internationale. Falardeau conclut sur la nécessité de supporter la création, que ce soit par l’entremise de l’ONF ou hors de son enceinte, mais montre parallèlement les difficultés soulevées par l’arrachement aux modèles commerciaux dominés par le paradigme du cartoon, plus aisément usinable de par le monde. La plaidoirie finale oscille entre le pessimisme et un optimisme mesuré ; la chercheuse soupçonne avec raison que l’embellie canado-québécoise en ce domaine pourrait éventuellement se mesurer davantage en termes économiques que culturels ou patrimoniaux. Le sujet mériterait donc d’être revisité avec poigne après que le dernier denier des 454 millions ubisoftiens aura été converti en animation, histoire de constater s’il y a aussi de la culture durable au bout du joystick.