Comptes rendus

Éric Gagnon et Francine Saillant (dirs), De la responsabilité. Éthique et politique, Montréal, Liber, 2006, 287 p. (Éthique publique hors série.)[Record]

  • Bernard Gagnon

L’idée de responsabilité est devenue problématique. Ce constat, posé par Éric Gagnon et Francine Saillant dans la présentation, dévoile le défi de l’ouvrage. Dans le lot hétérogène des écrits sur la responsabilité, est-il encore possible d’offrir une contribution qui, tout en faisant le tour de la question, en offre un nouvel éclairage ? C’est sous l’angle d’un regard critique et social que les quatorze contributions retenues veulent aborder de manière originale l’objet d’étude. L’un des objectifs est de présenter la diversité des applications de la responsabilité dans le monde contemporain. Sous cet angle, l’ouvrage est réussi. Il fait appel à des contributeurs issus de disciplines variées et il aborde le sujet selon différentes perspectives (environnement, interventions sociosanitaires, économie et entreprises, humanitaire et politique). Toutefois, et c’est sans doute volontaire de la part des éditeurs, la lecture conforte le doute voulant que la responsabilité soit devenue un concept éclectique qui suscite davantage de questions qu’il ne donne de réponses. Si le livre ne lève pas le voile sur la polysémie de la notion de responsabilité, il offre néanmoins des pistes pour mieux comprendre les enjeux actuels. Entre une lecture théorique et une lecture pragmatique se tracent les contours d’un questionnement commun sur la signification et la portée de la responsabilité. Ces deux lectures s’expriment parmi les différents textes et concernent tout autant les réflexions sur l’état de notre culture moderne que celles portant sur l’étude de cas spécifiques, tels que l’aide humanitaire, les soins de santé ou encore, l’agriculture biologique. L’ouvrage participe à la conciliation des regards abstraits et des travaux plus empiriques. Ainsi, il n’y a pas de contradiction à être en accord avec l’éthique pragmatique de Michel Métayer – « [l]es facultés morales n’ont aucune réalité tant qu’elles ne sont pas mises en action et mobilisées dans une expérience de vie socialement incarnée » (p. 150) –, tout en maintenant une réflexion théorique et philosophique sur le sujet. L’un des points forts de l’ouvrage, c’est la dichotomie, du moins apparente, qu’il pose entre une responsabilité de la sollicitude et une responsabilité du devoir. Dans le premier cas, la sollicitude devient le lieu de nouveaux rapports à l’autre, parce que nous sommes devenus plus sensibles à la souffrance et à la fragilité d’autrui. Ce qui trouve un écho dans certaines pratiques contemporaines – pensons aux préoccupations pour les générations futures, l’environnement et les espèces menacées. Des nouvelles pratiques qui, sans passer par les canaux de la médiation institutionnelle classique (l’État, la bureaucratie), veulent répondre plus directement à l’appel de l’autre. Mais au lieu de célébrer cet élan de sollicitude, l’ouvrage rappelle aussi que l’on peut s’inquiéter de l’effacement du politique et du social dans cette généralisation de la compassion. Cela est vrai tant pour le domaine du politique en général (les institutions sociales, l’État-providence) que pour les applications particulières de la responsabilité (les handicaps, les soins de santé). Hors du social et du collectif, la sollicitude non seulement se prive de l’intelligence et de la puissance collective, mais elle ne voit plus dans l’autre que sa différence (la souffrance du patient, la folie) et oublie le statut de sujet (alter ego) et de concitoyen de ce dernier. Le livre souligne ici un conflit d’interprétation et d’application des plus sérieux – entre sollicitude et devoir, entre différence et égalité – auquel ni la pensée théorique ni celle axée sur la pratique ne peut faire abstraction. L’ouvrage répond ainsi à ses objectifs de rendre compte de la diversité des pensées et des pratiques de la responsabilité. S’il est quelque peu compliqué de tracer une ligne directrice de cet ensemble diversifié, …