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Journal de prison d’un fils de la Liberté est le dernier d’une longue série de documents historiques liés aux Rébellions qui ont été rendus accessibles au public grâce à l’activité infatigable de Georges Aubin. Ce journal n’avait jamais été publié, et son manuscrit vient seulement d’être confié aux archives nationales après avoir circulé sous le manteau pendant près de 170 ans. Georges Aubin souligne que le journal de Ouimet est unique en son genre : « il ne ressemble à aucun autre journal de patriote déjà édité ». C’est bien peu dire : par son intelligence, sa maturité littéraire, sa liberté d’esprit et sa joyeuse irrévérence, ce texte ne détonne guère à la sensibilité du Québec moderne. Est-ce pour cette raison que L. O. David, qui l’a parcouru en 1873, a surtout retenu son caractère « curieux » et ses « réflexions peu orthodoxes » ?
En septembre 1837, André Ouimet, jeune avocat, est élu à l’unanimité à la présidence de l’association des Fils de la Liberté. Le jeune homme fréquente la librairie d’Édouard-Raymond Fabre, où se réunit la petite intelligentsia patriote. Libéral et anticlérical mordant, il est un représentant parfait de cette jeune génération instruite et dynamique que le conflit de 1837 opposait à des « édentés furieux » et des « vieillards malfaisants ». En novembre 1837, il est l’un des premiers sympathisants patriotes à être incarcérés. C’est là, entre novembre et mars 1838, qu’il rédige ce journal. L’intérêt documentaire du texte est évident. Tantôt avec une ironie cinglante, tantôt avec sympathie, l’auteur y présente plusieurs anecdotes inédites et décrit de nombreux personnages rencontrés au cours de son incarcération. Plus précieuse encore est sa description du traitement réservé aux prisonniers : on y trouve une véritable étude psychologique de procédés visant, plus encore qu’à briser les caractères, à conquérir les âmes, et où la générosité même des permissions accordées au compte-goutte devient un moyen d’asservissement. Ainsi, les geôliers acceptent d’ouvrir les portes des cellules, mais les prisonniers n’osent pas se tenir sur le seuil pour converser entre eux : situation qui révèle bien, sur le mode métaphorique, le caractère pervers d’un système politique qui octroie des libertés tout en les refusant, et cette intériorisation de l’interdit qui en est le produit.
L’histoire même du manuscrit témoigne de ce constat. Le fait qu’un texte aussi important en tant que témoignage historique que précieux par ses qualités littéraires soit resté caché pendant 170 ans, comme un honteux objet de scandale, montre la violence de l’autocensure que la société canadienne-française s’est appliquée à elle-même après 1837 et l’importance de ce qu’elle y a perdu sur le plan de sa culture et de sa conscience historique. Un fait d’autant plus significatif qu’à partir des années 1840 aucune loi n’interdisait une telle publication.