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Voici un ouvrage issu des Entretiens Jacques-Cartier tenus à l’Université de Montréal en 2000. Il présente les contributions de dix-neuf chercheurs en sciences de l’éducation provenant du Québec, de l’Ontario, de la France, de la Belgique et de la Suisse. Divisé en dix-sept chapitres auxquels s’ajoute une conclusion synthèse de la main du professeur Claude Lessard de l’Université de Montréal, ce collectif aborde sous différents angles la question de l’obligation de résultats en éducation, devenue incontournable dans le domaine éducatif. Celle-ci reçoit un traitement multiple. Elle est pensée tantôt en référence aux apprentissages des élèves, parfois en tant que responsabilité d’un groupe professionnel, ou encore en rapport avec les moyens, les processus ou les procédures de travail, enfin, elle peut être analysée sous l’angle des compétences des enseignants.
Ce livre collectif met en lumière un défi lancé depuis quelques années à la plupart des systèmes scolaires en Occident, à savoir que ceux-ci sont sommés de rendre des comptes à la population. On exige en effet des acteurs scolaires plus de transparence et ces derniers sont désormais de plus en plus tenus responsables du rendement des élèves. Cette nouvelle donne s’inscrit dans le cadre plus général du développement d’un nouveau rapport à l’éducation perçue maintenant comme un bien de consommation. Ce rapport consumériste aux savoirs scolaires incite les décideurs à mettre en place un mode de régulation de l’éducation basé sur des indicateurs quantitatifs du rendement interne et externe du système scolaire. Les différents palmarès des écoles ainsi que le PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE sont autant de symboles de cette nouvelle tendance, comme le souligne pertinemment Claude Lessard. « Cette logique des indicateurs, impulsée par le haut du système éducatif et par les organisations internationales (OCDE, Banque mondiale), rejoint celle du marché, de la concurrence et du libre choix des parents, de plus en plus populaire auprès des parents usagers, aisément convaincus qu’ils n’ont pas de recours contre le système public en place et que le seul comportement efficace à leur portée n’est pas la participation citoyenne à la gestion du système, mais plutôt la sortie du système et la mobilité sur le quasi marché éducatif » (p. 2).
L’ensemble des contributions réunies ici met justement en scène les conséquences réelles de ce mode de régulation sur les établissements scolaires et sur les personnes qui y oeuvrent. Tous les auteurs, d’une manière ou d’une autre, se montrent préoccupés par les récents développements en matière de politique éducative et contestent l’accent mis actuellement sur l’imputabilité et sur la reddition de compte. Les critiques à l’endroit de ce qu’il est légitime de nommer une idéologie pourraient être faites à partir d’un point de vue privilégiant le statu quo ou à partir d’une vision nostalgique d’un passé scolaire mythique. Tel n’est pas le cas. Plutôt, l’inquiétude des signataires des divers chapitres prend racine dans un certain nombre d’interrogations que soulève l’obligation des résultats : l’école du marché met-elle en danger l’école commune ? Peut-on exiger les mêmes résultats de toutes les écoles sans tenir compte des caractéristiques des élèves qui les fréquentent ? Quelle part de responsabilité les enseignants prennent-ils dans la réussite des élèves ? Quels effets peut avoir sur la pratique professionnelle et sur l’autonomie au travail des enseignants l’augmentation du pouvoir des parents (ou des élèves) définis maintenant comme étant des clients ?
En fait, cet ouvrage démontre qu’un travail interactif comme celui de l’enseignant – travail où le matériau est un être humain (l’élève) et qui nécessite son consentement afin que le résultat (l’apprentissage) advienne – ne saurait être évalué qu’avec prudence et qu’il serait peut-être préférable de parler d’obligation de compétences de la part des professionnels que d’obligation de résultats. Le danger, bien réel, est que la nouvelle « orthodoxie bureaucratique », qui impose son approche managériale tout azimut, ne conduise à l’étouffement de toute forme d’innovation dans les milieux scolaires obnubilés dorénavant par l’approche client où la satisfaction immédiate de ce dernier fait foi de tout.
À travers des réflexions sérieuses et fouillées, l’ouvrage rappelle que la logique du marché ne saurait être transposée intégralement en contexte scolaire sans que cela n’entraîne des effets pervers qui nuiraient à l’ensemble du système, comme le résume éloquemment le professeur Lessard en conclusion. « En somme, l’obligation de résultats en éducation ne peut évacuer totalement les apprentissages réalisés par les élèves ; elle est à la fois collective et individuelle, elle ne peut se réduire à des moyens, mais doit plutôt se concevoir comme l’obligation de construire et de bonifier constamment sa compétence à enseigner, en collégialité et en concertation avec les autres intervenants de l’école. Cela implique le souci des effets de son enseignement sur les élèves, le devoir de rechercher les meilleurs moyens et stratégies disponibles, efficaces et raisonnablement applicables, ainsi que le partage avec les collègues des bons coups comme des moins bons coups » (p. 308).
Les auteurs de ce collectif mettent en garde contre une vision réductrice de l’éducation définie uniquement en termes de réussite à des tests standardisés. Plus encore, ils fournissent matière à penser au-delà des lieux communs et des slogans si fréquents dans les controverses entourant l’éducation. Il s’agit là, assurément, d’une contribution importante au débat sur l’évolution de nos systèmes scolaires.