Comptes rendus

Francine Saillant et Manon Boulianne (dirs), Transformations sociales, genre et santé. Perspectives critiques et comparatives, Sainte-Foy et Paris, Les Presses de l’Université Laval et L’Harmattan, 2003, 311 p.[Record]

  • Stéphanie Rousseau

…more information

  • Stéphanie Rousseau
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Ce livre tiré d’un colloque tenu à Québec en 2002 réunit plusieurs contributions éclairantes sur les diverses facettes de la réorganisation des systèmes de santé qui ont cours, au Sud comme au Nord, depuis les vingt dernières années. Conséquence du processus de mondialisation des politiques publiques et des transformations structurelles engendrées par la gouvernance néolibérale, la restructuration des systèmes de santé est bien un phénomène global. L’ouvrage est consacré à des études portant pour la plupart sur la réalité québécoise ou canadienne, bien que les cas du Brésil, du Sénégal et de la France soient abordés pour témoigner de tendances mondiales ; évidemment, les auteures ont voulu marquer la diversité des situations, que ce soit le point de départ des systèmes au moment de l’entrée des réformes, ou encore des réalités qui méritent une attention particulière telles que les communautés autochtones au Québec pour qui les transformations offrent la promesse d’une plus grande autonomie de gestion sur ses soins de santé. Certaines contributions sont descriptives et reposent sur l’expérience de praticienne des auteures; d’autres sont le résultat de projets de recherche et d’une longue réflexion critique et théorique. Le constat principal qui ressort est que la division sexuelle du travail se reproduit à travers les transformations des systèmes de santé. Le nombre important de femmes dans le travail des soins, salarié ou non, est une extension des caractéristiques et des tâches maternelles attribuées aux femmes dans toutes les sociétés. Les réformes dans la santé se traduisent donc au premier plan par une féminisation des soins, ce qui permet, en principe, des économies au budget de l’État. Par contre, comme le constatent toutes les auteures des contributions, les transformations ont engendré un coût psychologique et matériel élevé pour les femmes « aidantes » et les travailleuses du secteur. Différents chapitres font état de travaux sur le virage ambulatoire et l’invisibilité du travail des femmes aidantes, sur les réseaux, la sociabilité et la solidarité exprimée à travers les soins aux proches dépendants, ou encore sur les femmes immigrantes employées pour les soins à domicile qui constituent une part importante des travailleuses non réglementées dans le secteur. Un chapitre aborde l’épineuse question des bénéfices associés à l’économie sociale pour les femmes qui y travaillent, majoritaires dans la plupart des sous-secteurs. F. Descarries et C. Corbeil se sont penchées plus particulièrement sur les travailleuses d’entreprises d’économie sociale en aide domestique. Malgré le fait que la rémunération des travailleuses soit parfois inférieure à ce qu’elles gagnaient « à leur compte », elles valorisent l’entreprise d’économie sociale pour la stabilité des heures de travail et les avantages sociaux. Une section du livre est consacrée au mouvement des femmes, particulièrement le mouvement pour la santé des femmes. On souligne le paradoxe de la volonté d’appropriation et d’humanisation des soins de santé par les femmes, confrontée aujourd’hui à un État qui se dégage de plusieurs responsabilités dans la fourniture et le financement des services. Un chapitre sur le mouvement pour la reconnaissance des sages-femmes en France et au Québec témoigne de la difficile articulation des revendications. Alors même qu’on veut démédicaliser l’accouchement et les soins maternels, on vise à assurer que les pouvoirs publics garantissent des conditions de pratique élargies, ce qui implique nécessairement une coopération entre le système médical et les sages-femmes. Francine Saillant propose pour sa part une réflexion sur le thème plus large du pouvoir lié aux savoirs, un enjeu crucial du mouvement pour la santé des femmes. Entre le spectre du contrôle biomédical et la menace d’essentialisme provenant des savoirs naturalisés, le mouvement des femmes a fort à faire pour se positionner de façon …