Nous pouvons enfin lire les dernières pages d’un grand oeuvre dont le premier tome est paru en 1996, mais dont l’élaboration remonte bien avant. En effet, dans sa thèse de doctorat à Lyon, le jeune historien du catholicisme s’était déjà saisi du dossier de la séparation de l’Église et de l’État en France par le biais d’une étude de l’opinion publique dans la ville de Lyon entre 1904 et 1908 (publiée en 1973). Ce moment fondateur de la laïcité à la française, encore présent dans les débats actuels et fixé dans la mémoire québécoise sous l’appellation des lois Combes, aura provoqué une dispersion de personnel religieux en dehors de la France dès 1880 et de nombreuses arrivées au Québec. Entre 1881 et le début de la Première Guerre mondiale qui modifie la donne politique française, 47 communautés de prêtres, de frères et de soeurs d’origine française se seront implantées ou auront été fondées au Québec pour un total de 2 007 immigrants au cours de la seule période couverte par le tome 3 (1905-1914). Non seulement ces arrivées importantes ont-elles « permis le renforcement et la structuration de l’encadrement religieux de la population québécoise catholique » (p. 438), mais elles auront alimenté une certaine image de la France ennemie de la religion, une suspicion accrue à l’égard des initiatives de l’État dans le domaine de l’éducation et, plus largement, la consolidation du barrage érigé contre le programme libéral radical de laïcisation de la société dont Laperrière propose qu’il constitue finalement « le seul point majeur de différence (…) dans l’histoire religieuse [de la France et du Québec] durant [les XIXe et XXe] siècles » (p. 632). Ce troisième tome de l’histoire des congrégations françaises immigrées présente deux ordres d’informations. On y retrouve d’abord une suite de l’histoire commencée en 1880 et menée ici à terme au moment où débute la Première Guerre. Le sommet des mesures contre les congrégations est déjà derrière (1901-1904). Les communautés faisant de l’enseignement ne sont pas autorisées, les écoles congréganistes fermées pour la plupart et les membres des congrégations faisant de l’enseignement interdits de fonction. Les écoles catholiques ne pourront survivre que moyennant la sécularisation totale ou fictive de leur personnel religieux. Les évêques français favorisent cette sécularisation pour sauver les écoles catholiques alors que Pie X y oppose son refus. À sa manière habituelle, Laperrière commence par analyser la situation religieuse dans la France de 1905-1914 (1re partie) à laquelle fait écho le théâtre de l’histoire contemporaine du Québec (5e partie). Entre ces deux portraits se déroule l’histoire des anciennes et nouvelles congrégations d’origine française. On assiste ici à une description fine appuyée sur des masses de documents manuscrits pour la plupart et qui donnent voix aux circonstances les plus diverses. Cela permet une conclusion ferme qui surprend tout en interdisant la simplification : les circonstances politico-religieuses de France ont une place de second rang dans l’arrivée des congrégations françaises qui obéit davantage au dynamisme interne de chacune d’entre elle venue s’implanter au Québec afin d’étendre son rayonnement à l’étranger. La 4e partie, hétéroclite, illustre, d’une part, des éléments de la vie quotidienne des immigrés français au sein desquels circule ce que l’auteur appelle une « spiritualité de l’exil », puis se transforme, d’autre part, en bilan qui propose une synthèse quantitative au moyen de plusieurs tableaux. Les connaisseurs y devineront la masse de fouilles critiques cachées sous la simplicité apparente des résultats définitifs. Laperrière introduit alors un autre ordre de considérations puisqu’il nous livre, en fin de parcours, une mise à jour du bilan historiographique commencé dans …
Guy Laperrière,Les congrégations religieuses. De la France au Québec, 1880-1914. Tome 3, Vers des eaux plus calmes 1905-1914, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 730 p.[Record]
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Louis Rousseau
Département de sciences des religions,
Université du Québec à Montréal.