La dernière des chefs de cabinet de René Lévesque, Martine Tremblay, vient de publier un livre à la fois personnel et historique sur les dernières années du gouvernement de René Lévesque. En place de 1976 à 1985, ce gouvernement est devenu un peu mythique, au moins pour les essayistes et les historiens. Alors que les gouvernements Bourassa, pourtant plus longtemps au pouvoir, ont peu suscité la réflexion, j’ai compté rapidement une bonne douzaine de livres récents plus ou moins consacrés à cette période d’effervescence politique, dont évidemment celui de Pierre Godin, « L’homme brisé », le quatrième tome de sa monumentale biographie de René Lévesque. L’ouvrage de M. Tremblay se situe dans un ensemble d’essais et doit être regardé à l’aune de cette floraison. Les mémoires écrites deux décennies après les événements sont généralement le lieu de rappels sélectifs, d’impressions floues, d’états d’âme mélancoliques ou indignés. Cela ressemble souvent aux conversations de fin de soirée auprès du feu de bois, où « le vieux » se remémore ses années de guerre… Rien de tel dans ce livre : il ne s’agit pas d’une autobiographie ni de mémoires au sens classique du terme. Lorsque l’auteure fait appel à ses souvenirs personnels, c’est essentiellement pour rappeler un contexte. L’ouvrage porte en sous-titre « René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985) ». La période couverte est donc de moins de dix ans. Le propos est effectivement moins biographique qu’axé sur la gérance de l’État dans un contexte particulier. D’ailleurs les références et citations d’essayistes politiques sont légion dans l’ouvrage de Tremblay et elles ont le mérite de resituer dans une perspective plus générale des événements qu’on pourrait croire anecdotiques. Le fonctionnement du conseil des ministres, le cheminement des dossiers, le fonctionnement du cabinet du premier ministre sont les fonds de scène de cette saga politique unique dans notre histoire, où, pour la première fois au Québec, une équipe vouée à la fondation du Québec comme pays arrivait aux commandes. Le niveau des attentes, la qualité du personnel politique aux affaires, le charisme et les ressources intellectuelles de ce premier ministre forment le côté « jardin lumineux » de la pièce, tandis que la force de la contre-réaction de Pierre Trudeau et de son entourage, ainsi que des événements personnels dramatiques en constituent le côté « cour sombre ». En fait, l’apport de ce livre de plus de 700 pages réside d’abord dans la précision et la sûreté des sources. Au lieu de la mémorialiste attendue, on se trouve en présence d’une historienne (de formation, d’ailleurs). De ses années de cabinet et de militante politique, elle a conservé des archives complètes, composées de mémos écrits, de mémoires au conseil des ministres ou à des conférences officielles, des lettres inédites, des brouillons de discours de Lévesque, des documents officiels de toutes sortes, sans compter du matériel d’entrevues auprès des acteurs de l’époque. Mais ces derniers apports ne constituent pas le coeur de sa démarche de documentation (au contraire de la méthode de Godin, basée essentiellement sur des entrevues faites 20 ans après les événements). Elle explique d’ailleurs en présentation que les témoins ont tendance à être très sélectifs dans leurs souvenirs et à reconstituer des événements ou des motivations à partir de bribes d’information, voire de racontars. Rien ne vaut les documents d’époque pour bien saisir le détail d’une décision et le contexte de ses motivations. Les années décrites sont donc reconstituées d’abord par des citations de sources documentaires sûres qui nous font pénétrer dans les arcanes des décisions, avec le moins d’interférence possible des souvenirs « à version propre », ceux où les événements …
Martine Tremblay, Derrière les portes closes. René Lévesque et l’exercice du pouvoir (1976-1985), Montréal, Québec Amérique, 2006, 710 p.[Record]
…more information
Michel Lemieux
Sociologue consultant.