Symposium critique

Un classique des sciences sociales au Québec[Record]

  • Joseph Yvon Thériault

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  • Joseph Yvon Thériault
    Département de sociologie,
    Université d’Ottawa.

Alors que la publication en 2003, par Jean-Jacques Simard, de La Réduction a reçu un écho important et a valu à son auteur le prestigieux prix du Gouverneur général, L’Éclosion qui parut l’an dernier a été accueilli plus modestement. Les deux ouvrages sont pourtant de même facture : ils reprennent, l’un pour la condition amérindienne, l’autre pour la condition québécoise, les travaux des vingt-cinq dernières années du sociologue de l’Université Laval, héritier notamment de la tradition du père Lévesque, de Falardeau et de Dumont. Cette réception différenciée n’est certes pas due au fait que L’Éclosion ne relèverait pas des mêmes qualités qui ont fait le succès de La Réduction : une pensée informée mais néanmoins innovante, une attitude iconoclaste envers les discours dominants, politiquement corrects, mais toujours empathique envers les acteurs et les aspirations qui les portent ; un grand travail d’érudition sociologique qui inscrit la modernité, québécoise dans L’Éclosion, amérindienne dans La Réduction, dans la trame des grandes théorisations sur la modernisation et qui s’accroche pour autant à un fin travail de terrain ; une écriture originale qui donne parfois des allures festives à la démonstration sociologique. Pourquoi donc cet accueil différencié ? Une première réponse est fort probablement imputable au fait que les thèses sur le Québec de Simard sont plus connues, au-delà du spécialiste de la question, que celles sur l’aventure amérindienne moderne. À lire le livre de Jean-Jacques Simard, on est souvent frappé, en effet, de constater comment ses thèses – sur la nature technocratique de la Révolution tranquille (l’idéologie rationnelle-fonctionnaliste), sur les hauts et les bas de la participation citoyenne dans les Opérations Dignité, sur l’ambiguïté du « Nous » québécois en regard de son passé canadien-français et de sa difficulté d’inclusion de ses vieux « frères-ennemis », les Amérindiens et les Anglais – , sont devenues des acquis de notre pratique intellectuelle. Cela veut dire qu’il faut lire Simard comme un classique, celui qui depuis une trentaine d’années participe à la mise en place d’un nouveau paradigme sur la société d’ici. Mais cela veut dire aussi que sa lecture du Québec, lue vingt-cinq ans après, étonne moins, détonne moins, par rapport à la doxa dominante que son travail sur les Amérindiens. Globalement la trame qui guide le regard de Jean-Jacques Simard sur la genèse de la société québécoise est toute inscrite dans le sous-titre de l’ouvrage : « de l’ethnie-cité canadienne-française à la société québécoise ». Le Québec est la transfiguration en quelque sorte de l’ethnie canadienne-française en société globale. Ce processus – cette éclosion – s’est déroulé sur plus d’un siècle, la Révolution tranquille n’étant à cet égard que la prise en charge de cette société globale en formation par une technocratie modernisante s’identifiant dorénavant au Québec. S’il est sociologue de l’identité, Simard veut néanmoins prendre ses distances face à une lecture trop macro-subjective, trop centrée sur la représentation, la nation, ou encore sur la culture seconde – voir ses remarques notamment sur Dumont, « L’identité comme acte manqué » – , il propose d’inscrire sa démarche dans une approche plus sociographique, plus près des processus sociaux ayant présidé à cette éclosion. Il n’est pas certain, et je dirai heureusement, que Simard arrive à se dissocier complètement d’une lecture des représentations de l’imaginaire québécois au nom d’une approche résolument sociographique. On est frappé en effet à la lecture des textes de voir se profiler une double interprétation de l’éclosion du Québec moderne, soit le Québec comme rupture, soit le Québec comme continuité. Double interprétation qui correspond bien à la dynamique des études sur le Québec depuis la Révolution tranquille et qui …