Symposium critique

Une voix critique de la modernité québécoiseJean-Jacques Simard, L‘Éclosion. De l’ethnie-cité canadienne-française à la société québécoise, Sillery, Septentrion, 2005, 350 p.[Record]

  • Jacques Beauchemin

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  • Jacques Beauchemin
    Département de sociologie,
    Université du Québec à Montréal.

Le projet qui est le fondement de l’ouvrage de Jean-Jacques Simard ne manque pas d’ambition. Il s’agit en effet de « retracer quelques-unes des pistes par lesquelles la société québécoise est advenue au monde contemporain » (p. 9). C’est bien alors de l’éclosion du Québec contemporain dont il est question. Vaste programme et projet téméraire en même temps si l’on considère que plusieurs sociologues et historiens s’y sont déjà risqués. Si cette tentative ne manque pas de grandeur, elle comporte le danger de défoncer des portes ouvertes et de donner dans la redite. De fait, certains textes de ce livre paraîtront de prime abord un peu en retrait des questionnements actuels. Dans d’autres cas, on aura l’impression que l’on s’attaque à des problèmes pour ainsi dire réglés. Ainsi en est-il de la critique que l’on a adressée à l’entreprise du BAEQ au nom du volontarisme gestionnaire déguisé en idéal de prise en charge collective qui en était, en effet, à la source. La critique que nous en propose Simard semble surgir d’une autre époque. De même, ses considérations portant sur la « pensée cybernétique » ou encore sur l’homme comme « donnée sociale » ont quelque chose de suranné. On pourrait dire la même chose de l’analyse portant sur la récupération technocratique dont le projet des CLSC a été l’objet au cours des années soixante-dix. Mais, à vrai dire, le sentiment d’avoir lu tout cela jadis et la vague impression que cette critique de la société a été depuis abolie par la réalité elle-même renvoient le lecteur à sa propre expérience. Tout se passe comme si rien de ce qu’a critiqué Simard tout au long de sa carrière ne nous dérangeait plus vraiment tellement est grande notre soumission à l’ordre des choses. C’est une étrange expérience de lecture que celle qui nous fait redécouvrir des textes dont l’écho nous parvient de si loin, alors que leur propos nous semblait d’une si grande pertinence à l’époque de leur première lecture. Peut-on alors parler d’une pertinence rétroactive au sens où, lisant ces vieux écrits, on doit admettre que ce n’est peut-être pas tant la critique qu’ils portent qui a vieilli que nous-mêmes. Cette seule révélation suffit à justifier qu’on lise ce livre jusqu’au bout de sorte à y retrouver ce qui jadis constituait une critique radicale et définitive de la modernité que nous avons quelque peu oubliée. On sortira de cette expérience en se demandant comment nous en sommes venus à considérer simplement et sans autre critique la « cybernétisation » ou la « récupération » effectuées par le « système » comme phénomènes advenus et, pour ainsi dire, indépassables ? Comme si la réalité avait frappé d’obsolescence les utopies de naguère tout en faisant de nous les victimes consentantes d’un ordre du monde dont nous trouvons difficilement aujourd’hui les moyens de le récuser, tellement les évidences qu’il impose nous laissent sans voix. En d’autres termes, avant de se porter à la rencontre des analyses plus spécifiques que Simard réserve au développement sociohistorique du Québec au XXe siècle, le lecteur reconnaîtra d’abord une voix. Elle dit ce que toute une époque tenait pour vrai. Elle énonce une critique de la modernité québécoise que les acteurs sociaux pouvaient encore reprendre à leur compte au cours des années soixante-dix parce qu’ils avaient l’impression d’avoir prise sur la réalité. C’est peut-être alors une sorte de désespérance toute contemporaine qui fait que cette critique nous semble naïve du haut de l’histoire advenue. Une voix donc, mais aussi une manière. Comme toujours avec Jean-Jacques Simard, on est d’abord frappé par son style indéfinissable, baroque, grinçant, indiscipliné …

Appendices