Comptes rendus

Dorval Brunelle (dir.), Main basse sur l’État. Les partenariats public-privé au Québec et en Amérique du Nord, Montréal, Fides, 2005, 265 p.[Record]

  • François L’Italien

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  • François L’Italien
    Candidat au doctorat,
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Comme l’indique le sous-titre, les contributions réunies dans cet ouvrage dirigé par Dorval Brunelle proposent un tableau d’ensemble du développement des partenariats public-privé (PPP) au Québec et en Amérique du Nord, c’est-à-dire à l’échelle de cet ensemble d’États qui se sont engagés, depuis près de vingt ans, dans un processus d’intégration continentale de leurs structures économiques. Loin de constituer des innovations locales et spontanées, les PPP, soutient Brunelle en introduction, s’inscrivent en effet pleinement dans la dynamique institutionnelle de ce processus, qui fait référence non seulement à la réorganisation des filières de production et à la reconfiguration des espaces d’accumulation capitaliste en Amérique du Nord, mais aussi – et peut-être surtout – à « l’extension de part et d’autre des frontières des États-Unis, d’un cadre normatif préparé, appliqué et sanctionné là-bas » (p. 23). Or, c’est précisément ce cadre normatif, véritable vecteur de libéralisation et de déréglementation, qui est à l’oeuvre avec l’institutionnalisation des PPP, qui visent à soumettre la prestation de certains services publics aux mécanismes de contrôle du marché en procédant à leur impartition vers le secteur privé. Cette thèse, on le voit immédiatement, nous plonge au coeur d’un débat sur les rapports entre politique et économie qui est d’une indéniable actualité. L’ouvrage se divise en cinq chapitres qui, à l’exception du premier, présentent chacun une étude de cas venant étoffer ce survol des PPP. Les auteurs s’attardent principalement sur le contexte historique et politique de l’adhésion des États-Unis, du Canada, du Québec et du Mexique au principe de ces ententes de services. Une introduction et une conclusion substantielles, rédigées par le directeur de l’ouvrage, viennent enfin baliser ce champ d’investigation. Dans le premier chapitre, qui est le plus consistant sur le plan théorique, Dorval Brunelle, Pierre-Antoine Harvey et Sylvain Bédard présentent le cadre idéologique au sein duquel les PPP ont acquis une légitimité. C’est dans la philosophie d’inspiration (néo)libérale développée durant la guerre froide que les auteurs identifient d’abord les principes généraux d’une critique radicale de l’État-providence, qui est menée au nom des effets anti-économiques de ce dernier. Valorisant le caractère fonctionnel de la « gouvernance des appareils d’État », cette critique a visé à dépolitiser la question de la prestation des biens et services collectifs par les administrations publiques en soutenant qu’il s’agissait là d’un domaine d’action relevant essentiellement des organisations privées. Cette philosophie a constitué l’une des sources de la Nouvelle gestion publique (NGP) qui a, quant à elle, fourni les assises doctrinales d’un vaste projet de restructuration des administrations publiques externalisant le caractère politique de ces institutions : en présentant des solutions managériales (plus de flexibilité, d’efficacité, de décentralisation et de souplesse réglementaire) à la crise de l’État-providence qui s’était entre-temps développée, la NGP a assimilé le gouvernement à un going concern comme les autres, et a contribué de ce fait à neutraliser l’exigence d’un débat sur les finalités des réformes menées sous son égide. En mettant l’accent sur l’efficacité des résultats et les avantages économiques liés à la formule, les discours cherchant à légitimer les PPP font écho aux principes apolitiques défendus par la NGP dans sa version actuelle. Les auteurs montrent bien que l’une des conséquences structurelles de ces ententes pragmatiques d’impartition est qu’elles introduisent, en sous-main, un glissement important quant au caractère public de la propriété des biens et services. Dans une typologie inspirée de l’économiste Samuelson, ils reviennent en effet sur les diverses catégories de biens et services allant de « privé normal » à « public pur », et constatent que même cette dernière catégorie de biens (qui constituent des « biens communs », qui ne peuvent par définition …