Comptes rendus

Claude Castonguay, Mémoires d’un révolutionnaire tranquille, Montréal, Boréal, 2005, 294 p.[Record]

  • Yves Martin

Longtemps réticent à se livrer à ce genre d’exercice, mais par ailleurs sensible au fait – souvent déploré, comme il le souligne – « qu’il existe au Québec relativement peu de mémoires ou d’analyses rédigés par des gens qui ont été engagés directement dans la politique et les affaires » (p. 10), Claude Castonguay a pris l’heureuse décision de retracer son cheminement professionnel et politique et d’enrichir ainsi le fonds de témoignages personnels légués par des artisans du Québec moderne, ceux de Georges-Henri Lévesque, de Georges-Émile Lapalme, de Paul Gérin-Lajoie, de René Lévesque, d’Eric Kierans, de Fernand Dumont, notamment. S’il fallait choisir le profil type de l’acteur de la Révolution tranquille des années 1960 et 1970 au Québec, le consensus s’établirait assez spontanément sur celui de Claude Castonguay. On ne s’étonne évidemment pas du titre que celui-ci a retenu pour ses mémoires : il s’imposait presque d’emblée à ce pionnier, à ce bâtisseur ayant constamment agi avec autant de ténacité et de détermination que de pondération. Le cheminement dont rend compte l’ouvrage est en fait un parcours à voies multiples qui s’entrecroisent au long d’une carrière s’étendant sur plus d’une quarantaine d’années : la voie du maître d’oeuvre des systèmes de santé, de services sociaux et de sécurité du revenu mis en place au Québec entre 1960 et 1973, celle de l’homme d’affaires devenu un membre éminent de cette nouvelle classe d’entrepreneurs francophones formant ce qu’on a appelé le Québec inc., celles du politique et du citoyen engagé dans la communauté. Parcours singulier qui fait contraste avec la représentation classique de l’exercice de la profession d’actuaire, refermée sur le monde des statistiques et les horizons du calcul des probabilités. L’audace tranquille de Claude Castonguay se manifeste dès le moment où il doit préciser son orientation, au terme des deux années du programme commun de la faculté des Sciences de l’Université Laval. Il opte pour l’actuariat, discipline absente des programmes de l’établissement et profession alors pratiquement inexistante au Québec. Après une année au département d’études actuarielles de l’Université de Winnipeg, il décide en 1951 de poursuivre sa formation « en solitaire », devenant en 1958 l’un des deux premiers francophones à accéder au titre d’actuaire, fellow de la Society of Actuaries de Chicago, le seul organisme encadrant alors la profession en Amérique du Nord. Durant les sept années de préparation des examens exigés pour l’obtention du titre, tout en travaillant comme stagiaire-étudiant à L’Industrielle, société d’assurance sur la vie de Québec, il est chargé de cours à la faculté des Sciences de l’Université Laval et y collabore à la création d’un programme d’enseignement de l’actuariat. Son diplôme en poche, il dirige pendant quatre ans la section d’assurance sur la vie de La Prévoyance à Montréal, s’inscrivant ainsi parmi les pionniers dans le domaine des services financiers au Québec. Il innove encore en 1962 en créant avec un collègue le premier cabinet de conseillers en actuariat au Québec et au Canada. Durant ses études en actuariat et notamment grâce aux enseignements des rapports sur la sécurité sociale de Beveridge (1942), pour la Grande-Bretagne, et de Marsh (1943), pour le Canada, Claude Castonguay s’était découvert un intérêt pour les assurances sociales et avait acquis la conviction de leur rôle essentiel comme facteur de développement économique et social. Fort de cette conviction, il offre ses services au premier ministre Jean Lesage au moment où son gouvernement annonce, au début des années 1960, son intention d’instituer un régime universel de retraite pour les travailleurs du Québec. Sa proposition est acceptée pour ainsi dire d’emblée et l’actuaire met le pied dans un engrenage qui le …

Appendices