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Le projet de recherche qui est à l’origine de cette publication visait à « analyser les effets de la mondialisation sur les nouveaux enjeux et les stratégies des organisations québécoises de défense des minorités ethniques et racisées, des femmes et des nations autochtones, dans le contexte national et international » (p. 3), de même que la façon dont les groupes québécois actifs dans ces domaines évaluent leur influence sur la gouverne politique. L’essentiel des données servant à l’analyse proviennent d’entrevues en profondeur auprès de soixante membres d’ONG impliquées dans ces secteurs. L’hypothèse qui soutient la recherche est que « l’action transnationale, pour la plupart des groupes retenus, vise d’abord et avant tout les autorités politiques à l’échelle locale et nationale. L’activité transnationale est un instrument pour faire avancer les revendications des groupes minoritaires au sein de territoires nationaux qui n’ont pas perdu leur pertinence, en dépit de la globalisation des espaces sociaux et publics » (p. 7).
L’ouvrage se divise en quatre chapitres. Le premier porte sur la contestation transnationale d’acteurs non étatiques. Les trois autres proposent des analyses de cas sur les minorités ethniques et racisées, les groupes de femmes et les nations autochtones. Soulignons d’emblée que les études de cas ne sont pas toutes organisées de la même manière, ce qui rend difficiles comparaison et généralisation, et que l’articulation entre données empiriques et réflexion analytique est très variable d’un chapitre à l’autre.
Chalmers Larose effectue une bonne revue de littérature portant à la fois sur la contestation transnationale et sur la transformation du champ des relations internationales que cela induit. Larose s’interroge, dans un premier temps, sur l’action transnationale et sur l’idée d’une société civile transnationale, sur lesquelles il met toutes sortes de bémols, mettant en doute une citoyenneté mondiale qui minerait l’ancrage territorial de la citoyenneté du fait des impératifs sécuritaires qui animent le monde de l’après 11 septembre 2001 (p. 13). Pour Larose, l’argument de la société civile transnationale témoigne « d’une certaine propension à surévaluer l’extension globale des flux transnationaux et à sous-estimer le rôle de l’État-nation dans la politique transnationale (p. 28). Son principal argument repose sur le fait que « [m]algré la rhétorique orthodoxe néolibérale entourant la libre circulation des biens et des services, pierre angulaire de l’idée de la mondialisation des marchés, le libéralisme économique n’est pas encore parvenu à s’accommoder de la mouvance globale en faveur de la libre circulation des personnes » (p. 31) et il montre que cette disjonction s’est encore accentuée dans le sillage de la « lutte anti-terroriste » et du primat sécuritaire qui l’accompagne, allant même jusqu’à restreindre les libertés publiques « internes », ce qui rend encore plus problématique l’action transnationale des mouvements sociaux.
Micheline Labelle, François Rocher et Ann-Marie Field prennent le contre-pied des discours sur les villes cosmopolites ou les mouvements diasporiques qui émaillent les cultural studies et les post-colonial studies. Leur étude montre que la capacité des organisations des minorités culturelles et racisées à se déployer sur la scène internationale varie énormément. De la même façon, le registre des pratiques transnationales des membres de ces organisations est très étendu et recèle des significations différentes. « Les transferts de devises, de biens de consommation et d’investissement vers les pays d’origine sont massifs et représentent souvent des valeurs supérieures au budget national des pays d’émigration. Les activités politiques visent à influer, dans les sociétés d’accueil, sur l’accès ou l’exercice des droits de citoyenneté (emploi, éducation, politiques d’immigration, antiracisme, protection culturelle, accommodements religieux) et, dans les pays d’origine, sur les processus politiques de coopération, de démocratie, d’autodétermination, etc. » (p. 50). Les auteurs ne remettent pas en cause l’existence de réseaux transnationaux et leur impact sur les revendications, le répertoire d’action, ou même l’utilisation du droit international par les divers groupes. Cependant, ils concluent que « l’engagement international contribue à modifier à la fois la stratégie de mobilisation et le discours utilisé pour faire avancer les dossiers. C’est dire que la nature des revendications ne change pas vraiment, mais les moyens pris pour les faire avancer sont influencés par la croissance des réseaux transnationaux. En ce sens, le recours à la norme internationale devient un instrument de plus dans l’arsenal des moyens auxquels les groupes peuvent avoir recours » (p. 82).
Le troisième chapitre, rédigé par Micheline De Sève et Chantal Maillé (et plusieurs collaboratrices), porte sur les mouvements de femmes. C’est probablement le chapitre le plus faible de l’ouvrage et le moins structuré. D’une certaine façon, les auteures semblent soutenir que le mouvement des femmes mène une action largement locale, surtout pour les femmes francophones du Québec par rapport auxquelles elles insistent sur le handicap que représentent la langue et l’accès relativement récent à Internet, et que l’internationalisation du mouvement est restée largement superficielle et limitée aux groupes de femmes issues de l’immigration ou à l’équipe restreinte de la Marche mondiale des femmes. Il me semble également discutable de limiter l’internationalisation du féminisme aux conférences de l’ONU ou à la MMF. Enfin, opposer local et global me paraît largement dépassé. Le texte met cependant en évidence la difficulté pour les groupes de femmes du Québec de nouer des alliances à l’échelle continentale (malgré l’ALÉNA) ou avec les groupes de femmes du Canada hors Québec (malgré l’existence du Canada). De Sève et Maillé introduisent cependant une idée qu’il faudrait fouiller : la participation de certains groupes de femmes aux mobilisations altermondialistes a pu contribuer à ce qu’elles prennent leur distance par rapport à l’État québécois ; « le discours du mouvement reste distant de celui de l’État dans la mesure où ses porte-parole puisent leur argumentaire, grâce à leurs contacts à l’étranger, dans des sources transnationales, résistent sciemment à l’institutionnalisation et acceptent, non sans grincements, de ramener systématiquement de la marge au centre les voix discordantes qui les interpellent » (p. 126).
Le quatrième chapitre, qui m’a aussi paru le plus intéressant, rédigé par Daniel Salée, Ann-Marie Field et Kahente Horn-Miller, porte sur les Autochtones. C’est évidemment un des mouvements dont l’activité sur la scène internationale est la plus soutenue, en raison du rapport d’intériorité / extériorité que les Autochtones entretiennent avec la scène politique canadienne. Il n’est donc pas surprenant que cette étude débute avec le constat suivant : « [l]’internationalisation de l’action politique des peuples autochtones évoluant au Canada doit donc être vue comme une dimension intrinsèque et constitutive qui, de tout temps, a marqué en quelque sorte leur être politique et leur devenir en tant que nation » (p. 162). Cependant, les auteurs ne vont pas jusqu’à interpréter l’action politique transnationale des Autochtones comme invalidant le pouvoir de l’État canadien à leur égard ; de façon plus nuancée, ils soutiennent que, chez les leaders autochtones, « on voit dans l’action au sein de l’arène internationale un moyen par excellence pour faire pression sur le gouvernement canadien, pour l’embarrasser s’il le faut » (p. 184). Et ils poursuivent en soulignant que « la globalisation offre aux peuples autochtones du Canada la possibilité de mieux faire connaître leurs doléances, d’aller chercher des appuis utiles à l’extérieur du Canada, de favoriser le développement de normes mondiales en matière de droits autochtones et de droits de la personne, bref de mieux faire leur travail et d’être mieux outillés pour faire face aux luttes politiques qu’il faut mener contre l’État canadien » (p. 185).
À la suite de ces enquêtes terrain, l’ouvrage tire trois grandes conclusions. La première confirme l’hypothèse de départ, à savoir que les gouvernements québécois et canadien demeurent la cible principale des revendications de la totalité de ces groupes. Ensuite, l’État-nation reste, aux yeux des groupes concernés et des chercheurs, garant des droits associés à la citoyenneté. Enfin, les stratégies de contestations transnationales, si elles élargissent le répertoire d’action des groupes, n’invalident pas les autres terrains de lutte.
On ne peut que saluer une telle analyse de terrain qui permet de mieux comprendre l’interaction entre le local, le « national » et le transnational dans les stratégies politiques des mouvements sociaux. Il y a peu d’enquêtes de terrain sur ce sujet au Québec et le terrain peut nous aider à résister aux généralisations hâtives et aux effets de mode.