Pour apprécier plus encore cet essai tiré de la thèse de doctorat de l’auteure, il faut avoir en mémoire l’essai magistral de Jean de Bonville : La presse québécoise de 1884 à 1914. Genèse d’un média de masse, Les Presses de l’Université Laval, tiré lui aussi d’une thèse de doctorat. La lecture ou la relecture de cette brique de 416 pages est souhaitable parce que Mme Marquis s’y réfère et s’inscrit explicitement dans sa suite. Plus encore, le livre de de Bonville offre une description détaillée et articulée de « l’institution » qui a émergé à la fin du XIXe siècle dans les pays industrialisés, la presse d’information, forme originelle des médias de masse. Or la thèse de Mme Marquis s’attache à raconter l’une des escarmouches de la rencontre de cette institution avec une institution plus ancienne, l’Église catholique. D’entrée de jeu, elle affirme que « ni l’Église ni la presse ne se sont effacées l’une devant l’autre » (p. 10). La logique de la presse d’information la pousse à se subordonner toutes les activités sociales et les autres acteurs à sa fin propre : le commerce lucratif d’un discours centré sur l’actualité. Celle de l’Église l’oblige à des manoeuvres constantes en vue de la séduction des esprits au profit de son message, processus nommé évangélisation. Les deux sont en quelque sorte sur le même terrain : la production symbolique de masse. L’étude de cas réalisée par Dominique Marquis découpe un court moment (1910-1940) et un petit lieu (la ville de Québec et son arrière-pays) dans les rapports séculaires entre la presse et l’Église. Ce corpus est unique sous plusieurs aspects. D’abord parce que l’Église y affronte une forme nouvelle de presse qui va se révéler très vite triomphante. Ensuite, parce qu’elle le fait dans les conditions les plus favorables pour elle. Il s’agit en effet d’une période où l’Église paraît dominer la société québécoise. À ne considérer que les années 1910-1940, on est conduit à conclure, comme le fait d’ailleurs Marquis, que l’expérience de L’Action catholique donne en quelque sorte la preuve qu’« Il est donc possible de se servir de la presse d’information à des fins idéologiques » (p. 213). En effet, au début de la Seconde Guerre mondiale, ce quotidien a finalement réussi à devancer ses concurrents sur le marché de l’Est du Québec. Mais en fait, l’après-guerre lui sera fatal. La télévision apparaît en 1952. Le tirage baisse. En 1962, L’Action catholique, née en 1907, meurt une première fois en devenant L’Action. (J’ai commencé ma carrière de journaliste dans ce quotidien en 1965 où je suis demeuré presque trois ans avant de passer chez son principal concurrent, Le Soleil.) En 1971, l’Archevêché vend le journal à un groupe qui en confie la direction à Jean Pelletier, qui deviendra plus tard maire de Québec et encore plus tard chef de cabinet du premier ministre Jean Chrétien. L’Action change de nom pour celui de À Propos et survit deux petites années. Marquis adopte dès le début une approche compréhensive, ce qui donne à son texte, écrit simplement, clairement et en excellent français, une légère teinte de sympathie au point de vue ecclésial. L’ouvrage situe l’aventure de L’Action catholique dans le sillage du changement global d’approche face au monde moderne qui caractérise l’Église romaine au début du XXe siècle. Après avoir condamné, dénoncé et boudé, elle repasse à l’offensive. L’initiative de l’Église de Québec du côté de la presse quotidienne de masse recevra un appui explicite du pape Pie X. L’auteure présente les opérations de l’Église du Québec en matière de périodiques, utilisant pour …
Dominique Marquis, Un quotidien pour l’Église. L’Action catholique, 1910-1940, Montréal, Leméac, 2004, 220 p.[Record]
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François Demers
Département d’information et de communication,
Université Laval.