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Il faut beaucoup d’assurance pour rédiger une synthèse d’histoire du Québec de 76 pages, le reste du livre étant composé d’illustrations. Surtout si l’on songe que les prédécesseurs de Jocelyn Létourneau ne s’en sont généralement pas tirés à moins de plusieurs centaines de pages. Pourtant, il faut savoir gré à l’auteur d’avoir cette assurance et de donner matière à réflexion au grand public sur les possibles québécois.
Dans un livre d’une telle brièveté, on ne peut reprocher à Létourneau de brosser à grands traits quatre cents ans d’histoire, quoique l’omission de certains personnages et événements – par exemple le rôle déterminant des gouverneurs Murray et Carleton, la Révolution américaine et l’arrivée subséquente de migrants loyalistes – soit problématique. Au contraire, on admire la facilité avec laquelle il présente des phénomènes complexes en un paragraphe ou, dans certains cas, en une seule phrase, sans trop esquinter la réalité historique. Paradoxalement, c’est ce procédé narratif qui permet de faire ressortir la complexité et la pluralité des parcours ayant conduit au Québec d’aujourd’hui. Dans cinq chapitres aux titres évocateurs sinon séduisants, il explore la fondation d’un pays neuf, la bifurcation provoquée par la Conquête britannique, l’expansion géographique, économique, sociale et culturelle de la période 1850-1940 (le chapitre le plus long du livre), les tensions tous azimuts de l’après-guerre, la réorientation au coeur de la Révolution tranquille et l’horizon du XXIe siècle.
Le récit de Létourneau est englobant : hommes et femmes, petits et grands, francophones et anglophones, immigrants et autochtones y trouvent leur place. Sans être les victimes impuissantes des grands phénomènes économiques et politiques, les acteurs historiques en subissent l’impact et, selon leur position sur l’échiquier social, ils agissent plus ou moins sur les événements. C’est à partir de ces interactions multiples entre différents acteurs, et entre acteurs et grands mouvements, que se bâtit l’identité, ou plutôt les identités, québécoise, en renouvellement constant. Ces reconstructions identitaires constituent le fil conducteur du Québec, les Québécois. Un parcours historique. Les interprétations de Létourneau ne sont ni libérales, ni marxistes, ni modernistes, ni structuralistes ; elles flirtent avec le postmodernisme, mais en dernière analyse elles annoncent un retour fort bienvenu vers une conception humaniste de l’histoire.
Le Québec, les Québécois est une commandite du Musée de la civilisation pour accompagner sa nouvelle exposition permanente « Le temps des Québécois », à laquelle Létourneau, parmi d’autres chercheurs, a collaboré. De là vient en partie l’orientation du texte, comme le note en avant-propos Claire Simard, directrice générale du Musée : « nous avons voulu intégrer l’histoire sociale et économique à l’histoire politique, mettre en valeur l’urbanité québécoise, rappeler l’ouverture des régions au XIXe siècle, montrer le visage pluriculturel de la société québécoise et insister sur sa modernité précoce trop souvent négligée » (p. 3) ; le lecteur doit aussi au Musée, qui coédite le livre, sa présentation impeccable, notamment les nombreuses illustrations ; quant à l’auteur, c’est sans doute en raison des limites imposées par la collection Images de sociétés qu’il a restreint sa narration à 76 pages. Pour son plus grand bien peut-être ! En effet, il n’est pas certain que les interprétations de Létourneau résisteraient à un traitement qui s’appuierait sur la fréquentation des sources, l’érudition et l’analyse rigoureuse. Je le mets au défi de prouver que je me trompe.