Comptes rendus

Yvan Lamonde, Histoire sociale des idées au Québec, 1896-1929, Saint-Laurent, Fides, 2004, 323 p.[Record]

  • Gilles Bourque

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  • Gilles Bourque
    Professeur émérite de sociologie,
    Université du Québec à Montréal.

Le nouvel ouvrage d’Yvan Lamonde constitue le deuxième volume de son impressionnante histoire intellectuelle du Québec entreprise en l’an 2000. Dans un précédent compte rendu publié dans cette revue, j’ai célébré l’exceptionnelle qualité du premier tome. Je ne reprendrai pas ici l’exposé de la méthode combien éclairante qui guide Lamonde dans son écriture de l’histoire sociale des idées au Québec. Retenons seulement que l’auteur met systématiquement en rapport l’évolution des idées et le développement des institutions de telle sorte que les acteurs sociaux apparaissent aussi bien comme des produits de l’histoire que des producteurs de leur propre destinée. Ajoutons aussi que Lamonde s’intéresse d’abord et avant tout aux « idées de caractère civique plus que strictement politique », qui naissent et se transforment dans l’institutionnalisation culturelle et qui constituent le socle et le terreau de la société démocratique dans le rapport de la culture au politique. Lamonde prévient d’entrée de jeu « que la période 1896-1929 ne semble pas présenter de faits saillants, si ce n’est, justement, une transition globale, un faisceau de changements toujours un peu plus complexes à identifier et à expliquer ». La mémoire historique, d’ailleurs, n’a guère retenu de la période qu’une liste d’événements traumatiques, de la pendaison de Riel aux problèmes scolaires des francophones hors Québec, à la crise de la conscription. Que dire encore du grand récit de la Révolution tranquille à partir duquel on ne saurait penser ces trois décennies que sous les traits consolidés et moyenâgeux du traditionalisme et de l’ultramontanisme exacerbés ? Pour toutes ces raisons sans doute, je l’avouerai, la première lecture de ce second ouvrage m’a paru beaucoup moins passionnante que ne l’avait été celle du premier tome de L’histoire sociale des idées au Québec. Je me suis même demandé si l’intérêt du travail des historiens, même les meilleurs, ne relevait pas en partie des traits caractéristiques de la période dont il cherchait à rendre compte. Au bout du compte un bon livre sur la Révolution française ne paraît-il pas spontanément plus attirant qu’un aussi bon texte sur la Restauration ? Faisant fi de cette question qui renvoie ultimement aux rapports entre l’histoire et la mémoire et à la sociologie de la connaissance, je me suis astreint à une deuxième lecture de l’ouvrage essentiellement attentive, cette fois, au travail de l’historien et mettant en veilleuse la question de l’intérêt réel ou imaginé de la période. Encore ici Lamonde sent le besoin de nous prévenir que ce deuxième ouvrage « s’attarde moins aux institutions (et) est davantage centré sur les courants d’idées et leurs tenants et aboutissants que sur les infrastructures culturelles, à moins que celles-ci ne soient nouvelles ». Cette inflexion d’une méthode dont l’intérêt heuristique avait si brillamment fait ses preuves dans le premier volume ne manque pas d’étonner. Ce parti pris pour les infrastructures culturelles nouvelles justifie-t-il que l’historien « s’attarde moins » à l’évolution des « institutions qui se sont mises en place après le décollage culturel du tournant des années soixante » ? Je soupçonne que cette concession à l’histoire traditionnelle des idées, toute partielle et limitée qu’elle soit, découle purement et simplement d’un problème de sources. Dans ce genre d’ouvrage qui, plus que tout autre, tient de la fresque et de la synthèse, le travail de l’historien sera toujours limité par l’état actuel de l’accumulation des données primaires et secondaires. Il n’en reste pas moins, tout compte fait, que Lamonde demeure fidèle à l’esprit général d’une approche et d’une méthode qui, encore une fois, lui permet de produire l’un des meilleurs ouvrages sur une période méconnue dans la mémoire collective et peu étudiée …