La censure n’est pas aisée à définir. Ce qui est certain, c’est qu’elle ne peut exister s’il n’y a pas de censeur. Terme qui, à son tour, ne peut que comprendre une notion de pouvoir. L’histoire littéraire du Québec n’est pas très longue à raconter. Mais en si peu d’histoire, elle a quand même eu à se frotter au pouvoir censorial d’un clergé bien pensant. C’est dans le but de nous donner une vision globale de la censure au Québec que Pierre Hébert, professeur de littérature québécoise à l’Université de Sherbrooke, a entamé la rédaction de deux volumes dédiés à ce sujet. Son premier titre, paru en 1997, Censure et littérature au Québec. Le livre crucifié (1625-1919), explique que jusqu’au milieu du XIXe siècle, il n’y avait pas réellement de censure organisée de la part du clergé québécois. Jusqu’en 1840, en fait, époque où Mgr Bourget instaure un contrôle répressif sévère de la littérature. Le tome deux, Censure et littérature au Québec. Des vieux couvents au plaisir de vivre – 1920-1959, reprend la censure là où elle s’était arrêtée au premier tome. Et l’auteur pose une question intéressante : la censure est souvent associée à la condamnation. Mais que faire alors de la contrainte positive, incitative ? « En d’autres mots, une esthétique dirigiste comme le réalisme socialiste peut-elle s’apparenter à la censure ? En outre, n’y a-t-il pas une grande variabilité, voire une subjectivité dans la reconnaissance de la censure ? Censure pour l’un, mais expression des nécessités de l’ordre social pour l’autre. La censure, est-ce l’exercice de la loi, ou n’est-ce pas davantage ce qui fonde cet exercice même ? [le souligné est de moi] » (p. 19). Le grand mérite d’Hébert est de distinguer très clairement une censure répressive d’une censure de fond, plus subtile, qui, au lieu d’interdire, incite plutôt à dire. En général, lorsque l’on pense au clergé et à la censure littéraire, la première chose qui nous vient à l’esprit est l’Index, recueil de titres qu’un bon chrétien s’abstient de lire sous peine de sanction (sur terre et au Ciel). Mais la censure décrite par Hébert est plus profonde que cela ; l’institution religieuse a établi des lois qui condamnent certaines oeuvres, certes, ce qui demeure la partie la plus visible des activités de censure, mais l’institution se fonde, pour établir cette censure, sur des bases qui présupposent quelque chose de plus fondamental à l’acte d’interdire. D’un côté, ce fondement présuppose que Dieu a mis la vérité dans le monde, que l’humain ne doit pas chercher à s’approcher de trop près. Le mieux à faire est encore d’imiter les formes créées pour leur rendre hommage. Ainsi, l’art doit-il se soumettre à la morale qui est garante de la Vérité, du Bien et de la Beauté. Car est beau ce qui est bien et est bien ce qui est en accord avec les lois de Dieu. D’un autre côté, le fondement de la censure institutionnelle est quelque chose d’absolument insaisissable. Il n’a pas de contenu spécifique. Autrement dit, le clergé est libre d’interpréter sur pièce qui est susceptible de porter atteinte à la morale. Il n’y a pas de critères objectifs clairs et précis. C’est en raison de ce flou que, méthodologiquement, se situe le problème. La censure devient impalpable, difficile à cerner, à comprendre. Il faut donc, pour la désigner, se fonder non pas sur le censeur, mais sur le censuré. Raison pour laquelle Hébert s’attarde sur les discours des censeurs et des censurés, les faisant débattre de l’objet même qui, sinon, resterait indéfinissable. La trame historique maintenant. La censure …