Comptes rendus

Martin Doré et Doris Jakubec (dirs), Deux littératures francophones en dialogue. Du Québec et de la Suisse romande, Actes du colloque de Lausanne 25–27 avril 2002, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2004, 374 p.[Record]

  • François Provenzano

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  • François Provenzano
    Université de Liège – FNRS.

Riches de vingt-cinq contributions réparties en neuf sections différentes, les actes rassemblés par Martin Doré et Doris Jakubec livrent un aperçu des principales tendances qui orientent la recherche actuelle sur les francophonies littéraires suisse et québécoise. Plutôt que d’examiner séparément chacun des articles, nous tenterons ici de rendre compte de ces tendances, en y relevant essentiellement les problèmes posés et les éléments novateurs. Le titre de l’ouvrage situe d’emblée le propos dans une double perspective : d’une part celle des études littéraires francophones, d’autre part celle du comparatisme. Répondant aux récentes tentatives de mise au point épistémologique de Michel Beniamino (La Francophonie littéraire. Essai pour une théorie, 1999) et de Lieven D’Hulst et Jean-Marc Moura (Les Études littéraires francophones : état des lieux, 2003), les auteurs ont choisi de découper dans le corpus littéraire francophone les deux sous-ensembles romand et québécois. S’il convient d’attirer l’attention sur l’originalité et la pertinence d’un tel rapprochement, on soulignera également qu’il aurait mérité de plus amples justifications que celles fournies incidemment dans l’une ou l’autre contribution. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir intégré la Belgique francophone à ce dialogue littéraire ? Bien sûr, la réponse à une telle question devrait pouvoir être fournie par le second ancrage critique de l’ouvrage, à savoir sa dimension comparatiste. Annoncée dans le texte de présentation comme ligne directrice des recherches rassemblées, la démarche comparatiste ne se trouve cependant effectivement réalisée que dans une faible proportion des contributions. En effet, nombreux sont les auteurs dont l’objet se limite à l’un des deux ensembles littéraires, rendant ainsi le geste comparatiste secondaire par rapport à d’autres types d’approche du littéraire. Parmi ceux-ci, on relèvera une attention privilégiée aux poétiques développées par les écrivains romands et québécois. Peu de renouvellements sont à signaler dans les études consacrées à la langue d’écriture (Lise Gauvin), ou au genre poétique (Richard Gingras, Lucie Bourassa), qui choisissent d’approcher des monuments consacrés par les traditions historiographiques respectives (Ramuz, Miron, Roud, Garneau, Jaccottet). Le souffle de la nouveauté critique souffle davantage sur les contributions des sections II (« Oeuvres vues d’ici et d’ailleurs ») et III (« Écrivaines et auteures »), qui misent sur des problématiques aussi contemporaines que l’« écriture migrante » ou l’« écriture féminine ». Dictés essentiellement par des préoccupations extra-littéraires, de tels découpages ne sont pas sans conséquences sur la cohérence de la parole critique. Quelle grille de lecture, par exemple, adopter pour le commentaire de l’oeuvre d’une Agota Kristof, que Monique Moser-Verrey envisage dans le cadre des « Écrivaines et auteures », mais qui est tout autant « migrante » que Marco Micone, écrivain québécois d’origine italienne, labellisé « écrivain migrant » par Clément Moisan ? Outre qu’elle entraîne ce genre de superposition, la mobilisation de clés interprétatives « féminines » ou « migrantes » laisse apparaître encore deux séries de problèmes méthodologiques. Premièrement, l’exploration de la thématique féminine est nettement plus représentée dans les études sur la littérature québécoise. Il semble ainsi s’agir d’un trait lié aux circonstances particulières du développement de la tradition critique au Québec. Refuser de le voir comme tel, c’est s’exposer à entretenir une ambiguïté entre la méthode et l’objet, en érigeant la thématique (voire la stylistique) et le personnel littéraire féminins en spécificité de la littérature francophone québécoise. Deuxièmement, de telles perspectives critiques sont immanquablement aux prises avec le matériau littéraire le plus contemporain, dont on peut parfois se demander si elles ne visent pas à escorter l’émergence ou accélérer la reconnaissance. On retrouve ici l’un des problèmes pointés dans les bilans de M. Beniamino, L. D’Hulst …