Comptes rendus

Bruno Ramirez (avec la collaboration d’Yves Otis), La ruée vers le sud : migrations du Canada vers les États-Unis, 1840-1930, Montréal, Boréal, 2003, 276 p.[Record]

  • Marie-Odile Magnan

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  • Marie-Odile Magnan
    INRS Urbanisation, Culture et Société.

Dans cet ouvrage, l’historien Bruno Ramirez retrace une partie de l’histoire canadienne et étasunienne jusqu’alors demeurée dans l’ombre : les migrations du Canada vers les États-Unis de 1840 à 1930. Ramirez étudie les émigrants dans leur ensemble ; il tient compte des Canadiens français, des Canadiens anglais ainsi que des immigrants transatlantiques qui ont eu pour terre d’accueil le Canada et qui ont choisi de s’établir aux États-Unis par la suite. Il tente de cerner les ressemblances et les différences entre ces groupes qu’il présente selon le taux de migration, quelques variables démographiques et divers facteurs de migration. Il observe de la sorte davantage de ressemblances entre les groupes. Là où Ramirez innove, c’est surtout lorsqu’il analyse les émigrants canadiens-anglais. Jusqu’à maintenant ce groupe était quasi absent de l’historiographie canadienne et américaine comparativement au groupe canadien-français. Ce manque d’intérêt des chercheurs serait dû au fait que les Canadiens anglais étaient moins visibles aux États-Unis que les Canadiens français puisqu’ils n’ont pas développé leurs propres institutions ethniques, ne sont pas caractérisés par une forte concentration résidentielle et se sont démarqués par une grande diversité socioprofessionnelle. L’émigration des Canadiens anglais n’a pas non plus été dénoncée par l’élite politique et religieuse, comme ce fut le cas pour les Canadiens français. Ramirez dresse un portrait complet de la dynamique migratoire étudiée grâce à l’adoption d’une approche macro et micro : l’analyse individuelle se jumelle à l’analyse historique et contextuelle. Il reconstruit la multiplicité des parcours migratoires dans un contexte global tout en tenant compte de la diversité des contextes locaux, régionaux et culturels. Il inscrit également la famille au coeur de la migration. Contrairement à Malthus, Ramirez n’adopte pas une vision organique. Les migrants ne sont pas guidés par la main de Dieu ; ils « constituent en dernière analyse les grands protagonistes de ce mouvement » (p. 101). Afin de concrétiser cette approche, Ramirez conjugue une analyse qualitative à une analyse quantitative. Il utilise des rapports officiels, des journaux et des récits provenant de la tradition orale. Il fait appel à des histoires de cas pour illustrer la diversité des trajectoires migratoires. Toutefois, il ne traite pas son matériel qualitatif en profondeur. Ramirez a aussi recours au Soundex Index to Canadian Border Entries to the USA qui contient l’information colligée par des douaniers américains. Ces données quantitatives qui n’avaient jamais été utilisées de façon systématique, lui permettent d’étudier l’émigration de 1906 à 1930. Des questions étaient posées aux immigrants canadiens sur leur profil ethnolinguistique, sociodémographique, économique et géographique. Les migrants ont-ils tenté de masquer certaines réalités pour traverser la frontière, surtout lorsque celle-ci faisait l’objet d’un contrôle légal plus strict vers la fin du XIXe siècle ? Ramirez ne fait pas état de ces limites méthodologiques. L’auteur utilise trois concepts théoriques. Il recourt à la notion de « champs migratoires », un terme emprunté à la géographie, ce qui lui permet de lier les lieux de départ aux lieux de destination selon différentes échelles spatiales et de reconstituer les champs migratoires. Ces champs permettent non seulement de délimiter un espace migratoire, mais aussi de situer les migrations dans un contexte économique, social, culturel et historique. À ce concept, il joint la notion anthropologique de « géographie psychologique » qui renvoie à ce que les lieux de destination entrent dans l’imaginaire, qu’une tradition migratoire émerge. Ramirez se sert aussi du concept de « facteur humain » (c’est-à-dire un terme qui traduit mal celui qui est utilisé dans la version originale anglaise de l’ouvrage : human agency) qui permet de considérer les circonstances qui entourent la migration ; ceci permet de prendre …