Le souverainisme québécois est en pleine mutation. Alors qu’une « saison des idées » aux contours imprécis mobilise les cerveaux de la base, ceux d’en haut cogitent à des degrés divers dans les limbes d’une transition de leadership qui passe par la remise en cause des postulats récents – la primauté de l’économique, l’américanité du Québec – sur lesquels le mouvement s’était confortablement assis, sans succès politique apparent. Acteur de premier plan des dix dernières années, depuis son passage en coup de vent à Washington jusqu’à sa mission de secrétaire générale de la Coopération universitaire France-Québec à Paris, la politologue Anne Légaré y participe de manière intelligente. Forte d’expériences tantôt traumatisantes, tantôt éclairantes, elle réfléchit sur la pertinence de réorienter les priorités de la politique étrangère québécoise. Autant dire qu’elle s’en prend à l’image que nous nous faisons de nous-mêmes, formulant à même la galerie de nos autoportraits – Français d’Amérique, Canadiens français, Nord-Américains de langue française – une proposition identitaire nouvelle, apte à assurer dans l’avenir un meilleur succès à nos modestes entreprises de rayonnement international. Il tombe à point nommé, cet ouvrage sur la politique étrangère du Québec ! Les premiers chapitres sont consacrés « aux fondements politiques des intérêts américains dans la perspective de souveraineté du Québec ». Ici, le constat est sans appel. Les États-Unis n’ont pas d’amis ; ils n’ont que des intérêts. Le Canada, pays de tradition et d’institutions anglo-saxonnes, leur sera toujours préférable à un Québec souverain, quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse. Nulle entreprise de séduction – Dieu sait qu’il y en eut depuis la première visite de René Lévesque en 1977 –, ne modifiera cet état de fait incontournable. Pire, la période du référendum de 1995 a mis en lumière les tentatives interventionnistes américaines comme les « mesures de blocage, de quadrillage et de brouillage de l’action du Québec » avant et pendant la consultation référendaire, avec bien entendu l’appui de l’arsenal diplomatique d’Ottawa à Washington. De là à remettre en cause le mythe de l’américanité cher à certains intellectuels mais si peu « payant », il n’y a qu’un pas vite franchi. Le problème essentiel du concept de l’américanité relève de la primauté de l’économique sur le culturel et le politique. Il y a un risque certain à élever au statut d’idéologie identitaire le fait que notre économie est intimement arrimée à celle de notre voisin du Sud. Faire du mode de vie de la classe moyenne des banlieues, des artefacts de la vie quotidienne, des caractéristiques anarchiques de nos pratiques en matière d’urbanisation, de notre soi-disant « nouvelle économie » fondée sur de multiples « niches » sous-traitantes des multinationales américaines, les indicateurs tangibles d’une « appartenance culturelle » à laquelle l’écran de la langue française nous empêcherait d’adhérer entièrement, c’est tronquer le destin de la nation francophone de l’Amérique du Nord, en faire une province de consommateurs nord-américains et rétrécir d’autant ses horizons futurs. D’où l’appel d’Anne Légaré à retrouver, outre Atlantique, non pas le souvenir des archives de la Nouvelle-France ou la compétition entre métropole et colonie affranchie, souvent évoqués par les intellectuels traditionnels pour mieux échafauder une « identité canadienne » qui a si bien servi les élites du Dominion, mais plutôt l’enseignement d’une politique étrangère audacieuse et autonome. Tel est l’antidote que nous propose la France qui, davantage qu’une mère-patrie, est une nation puissante et sophistiquée dans la pratique inlassable de sa différence. Déçue des hésitations de la politique de coopération franco-québécoise auxquelles chacun des partenaires a contribué, l’auteure rappelle son passage à Paris, évidemment moins stratégique que l’autre. L’intérêt …
Anne Légaré, Le Québec otage de ses alliés : les relations du Québec avec la France et les États-Unis, Montréal, VLB éditeur, 2003, 328 p. (Partis pris actuels.)[Record]
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Michel Duquette
Département de science politique,
Université de Montréal.