Comptes rendus

François Hébert, Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt, Montréal, Éditions Trait-d’union, 2002, 223 p. (Échappées.)[Record]

  • Julie Gaudreault

Malgré une mention générique indiquant d’emblée une forme d’inachèvement (le terme notes), Pour orienter les flèches. Notes sur la guerre, la langue et la forêt ne constitue ni un document de travail préparatoire ni la mise en chantier d’un livre à venir. Cette publication ne se présente pas non plus comme une ébauche ou comme un cahier d’exercices ayant antérieurement servi à l’écriture d’un autre ouvrage. Les courtes historiettes, les commentaires sur l’actualité, sur la littérature, la forêt ou la chasse, les fragments de poèmes et les réflexions métaphysiques s’y bousculent ; ils sont sollicités par tous les discours hétérogènes et contradictoires contemporains à l’écriture du preneur de notes. La disposition du texte sur les pages reproduit cette logique erratique : les entrées sont séparées par des blancs typographiques, de façon irrégulière, et non par des marques de temporalité, comme c’est le cas pour le journal, par exemple, où elles sont datées. Cependant, il est important de souligner que si le passage du temps n’est pas marqué par la datation des moments d’écriture, la succession des événements de l’actualité tisse une toile de fond à ces notes. Une progression, voire une certaine narrativité organise les cinq carnets rassemblés dans ce livre en les inscrivant dans l’actualité internationale « récente » ; les Jeux olympiques de Sydney, les manifestations en marge du Sommet de Québec, le 11 septembre 2001 et le temps de la chasse sont cités tels des témoins du temps qui a passé. Ils circonscrivent ce projet d’écriture dans le temps historique. Le livre de François Hébert ne représente pas non plus la construction de la personnalité ou de l’ethos de son auteur – voire du personnage de son auteur – par un dédoublement du je, ce qui est courant dans le journal. Les événements cités déclenchant ou relançant l’écriture ne concernent pas les faits de la vie personnelle du preneur de notes ; comme en témoignent les événements donnés en exemple précédemment, ce sont plutôt des points de repère puisés dans la sphère publique. Cet ancrage temporel minimal et, pourrait-on dire, public, crée un effet de lecture inusité et original : il permet au lecteur de se situer à nouveau vis-à-vis des événements cités et de revoir sa propre interprétation du passé récent à travers celle de François Hébert. Le filtre de l’écriture de Hébert se superpose à celui du lecteur, qui peut ainsi, a posteriori, recomposer son passé. Le lecteur de ces notes assiste donc à la fois au théâtre de la réalité tel qu’il s’est joué chez François Hébert, tache par tache, bribe par bribe, au moment où l’actualité se déroulait, et à la reprise en différé de son interprétation de cette actualité, telle que sa mémoire l’a conservée. Toutefois, même si le terme notes ne peut couvrir entièrement la dénomination générique journal, dans les notes de François Hébert – comme dans toute littérature personnelle – le point de vue intime du sujet prime. Ces notes développent par moments une logique argumentative, mais demeurent le plus souvent décousues et spontanées, l’auteur étant mis en alerte et stimulé par les multiples discours qui le traversent. C’est ce processus d’écriture, oscillant entre l’errance et la recherche de vérité non systématique, deux dimensions de l’essai, que décrit François Hébert : « J’écris à l’oreille, parfois. Ces carnets sont acoustiques […] Propositions discutables, idées inimaginables, images solides, têtes chercheuses. Je n’invente rien, ne prouve rien, ne conte pas d’histoires. La musique est absente de ces lignes et mes images sont abstraites. Nous sommes à l’essayage » (p. 21). Il s’agit donc d’essayer …