Comptes rendus

Clément Moisan et Renate Hildebrand, Ces étrangers du dedans. Une histoire de l’écriture migrante au Québec (1937-1997), Québec, Éditions Nota bene, 2001, 361 p. (Études.)[Record]

  • François Paré

…more information

  • François Paré
    Département d’études françaises
    Université de Guelph

Ouvrage promis à une reconnaissance institutionnelle immédiate, Ces étrangers du dedans retrace l’histoire détaillée, parfois étonnante, de ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature migrante » au Québec au cours des quelque soixante dernières années. Clément Moisan et Renate Hildebrand divisent cette assez longue période, en amont et en aval de la Révolution tranquille, en quatre étapes successives au cours desquelles s’est imposée une conscience accrue de la pluralité culturelle du Québec moderne. De l’homogénéité quelque peu placide des décennies qui ont précédé les transformations profondes de la société québécoise après 1960, nous assistons, selon les auteurs, à une reconnaissance exacerbée du travail des écrivains immigrants dans l’institution littéraire et, plus généralement, dans le discours social. Ainsi, à travers le « pluriculturel », puis l’« interculturel » (à l’époque de la première loi 101), la voie s’est ouverte vers une société du « transculturel », aboutissement logique d’un Québec traversé aujourd’hui par l’hétérogénéité. Pour Moisan et Hildebrand, cette mutation est non seulement naturelle dans toutes les sociétés d’accueil, mais elle est, du reste, infiniment souhaitable, dans la mesure où la conscience de l’hétérogénéité des identités s’offre ici comme un fait de civilisation. L’hétérogène étant posé comme supérieur à l’homogène, la culture québécoise se serait acheminée au cours des soixante dernières années vers des formes plus éthérées et plus rigoureuses d’affirmation. Le progrès d’une société se mesurerait à l’aune du mélange, de ce qu’il est convenu d’appeler le métissage. Ces présupposés idéologiques façonnent l’ensemble de l’ouvrage de Moisan et Hildebrand et motivent chez les auteurs la recherche de traces littéraires et institutionnelles qui confirment l’hétérogénéité latente de la littérature québécoise et du discours culturel auquel elle appartient. Au départ, Moisan et Hildebrand ont tous deux travaillé, à l’aide d’équipes de recherche, à la constitution d’une Banque de données d’Histoire littéraire du Québec. C’est à partir de ce fichier géant qu’ils ont pu isoler un corpus considérable d’oeuvres, écrites et publiées par des auteurs nés à l’étranger. Il importe de souligner que ce corpus est établi selon des critères qui laissent aux auteurs une très grande latitude. Par exemple, la reconnaissance institutionnelle des oeuvres n’est qu’un facteur occasionnel dans le choix des ouvrages analysés. Il pourrait donc s’agir de classiques de la littérature autant que d’ouvrages aujourd’hui parfaitement oubliés. La langue d’origine et le lieu de naissance ne sont pas non plus pris en compte. Ce dernier critère est extrêmement important, car ces « étrangers du dedans », ce ne sont pas seulement les Naïm Kaltan, Alice Parizeau, Marco Micone et Dany Laferrière, ce sont aussi tous les Français qui sont venus s’établir au Québec et dont l’étrangeté n’était assurément pas du même ordre. Cette dernière question m’a paru cruciale tout au long de ma lecture de l’ouvrage de Moisan et Hildebrand. Elle m’a forcé, en effet, à penser l’axe France-Québec comme une voie où se serait instituée, surtout entre 1960 et 1980, une véritable parole immigrante de Monique Bosco et François Piazza à Jean-Pierre Ronfard et Dominique Blondeau, par exemple. Ces étrangers du dedans fait tant ressortir le rôle des écrivains originaires de France qu’on a parfois l’impression que ce sont eux qui ont largement alimenté les grands mouvements littéraires québécois. Un peu comme si nous disions que Claude Haeffely, par sa venue au Québec, avait enfanté Gaston Miron et l’Hexagone, et Marco Micone, lui, à rebours de l’histoire, avait créé Michèle Lalonde. Que l’on reste sceptique devant de tels rapprochements – ce qui est assurément mon cas –, l’ouvrage de Moisan et Hildebrand force néanmoins à penser différemment et exhaustivement non seulement les rapports historiques avec la France, mais …