Comptes rendus

Pierre Rajotte (dir.), Lieux et réseaux de sociabilité littéraire au Québec, Québec, Éditions Nota bene, 2001, 336 p.[Record]

  • Michel Lacroix

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  • Michel Lacroix
    Département de français
    Université du Québec à Trois-Rivières

À la suite des travaux de Maurice Agulhon sur les cercles méridionaux français du dix-neuvième siècle, l’étude de la sociabilité est devenue un champ majeur d’investigation de l’historiographie française. Il suffit de feuilleter la Bibliographie annuelle de l’histoire de France pour en constater les résultats. La rubrique « sociabilité » ne fait son apparition qu’en 1989, mais rapidement thèses, monographies et articles se bousculent au portillon : pas moins de 37 entrées en 1996 ! Toutefois, cette dynamique branche de l’histoire culturelle n’a eu que des effets limités en ce qui concerne l’histoire littéraire qui ont été quasi exclusivement restreints à l’étude des intellectuels. En effet, si l’on excepte les travaux menés à l’Institut d’histoire du temps présent sur les sociabilités intellectuelles, la sociabilité littéraire n’a suscité que de rares études. Tout s’y passe comme si la sociabilité, en littérature, était entièrement déterminée par la lutte entre autonomie et hétéronomie, capital économique et capital symbolique. Dans les études québécoises, le sort réservé à la sociabilité est tout différent. Du côté des travaux historiques, outre les actes du colloque dirigé par Roger Levasseur (De la Sociabilité. Spécificité et mutations, Montréal, Boréal, 1990), il n’y a guère eu que les recherches accomplies par Andrée Fortin et son équipe. Par contre, du côté des littéraires, on s’est emparé très tôt de la notion de sociabilité. Et ce fut précisément ceux qui adoptaient la perspective du champ littéraire qui le firent le plus volontiers. On a ainsi fait de l’étude de la sociabilité une des voies royales menant à la compréhension de cette sphère sociale bien particulière qui est celle des acteurs littéraires. Le projet de la Vie littéraire du Québec est un parfait exemple de l’intégration harmonieuse de la sociabilité à la théorie du champ. Membre de l’équipe de la Vie littéraire, Pierre Rajotte a contribué activement à faire reconnaître l’intérêt heuristique et historique de l’étude de la sociabilité littéraire. Il poursuit son travail de pionnier et d’animateur en ce domaine, en livrant au public Lieux et réseaux de sociabilité littéraire au Québec (voir aussi le numéro de Voix et images sur « La Sociabilité littéraire », publié sous sa direction). Ce volume réunit sept études, précédées d’une préface d’Alain Viala et d’une présentation. Le texte de Viala constitue une très stimulante entrée en matière et mérite le détour. S’élevant contre l’idée – fort répandue – voulant qu’en littérature « les usages sociaux ne [soient] qu’accessoires, contingents, circonstanciels », il souligne le fait que les réunions d’écrivains ne sont pas que des « lieux de gestion mais bien des lieux de pratique ». Il indique que pour les mouvements littéraires la sociabilité est un phénomène incontournable, car à la base même de leur constitution, et insiste sur l’importance de la sociabilité comme passage du privé au public. Avec ces remarques, l’importance de la sociabilité littéraire est établie d’entrée de jeu, et les études qui suivent viendront illustrer les multiples facettes de cet objet. C’est d’ailleurs là un des mérites majeurs du recueil : on essaie d’y explorer plusieurs types de sociabilité, de façon à dresser un tableau des avenues ouvertes par ce champ d’études. Tour à tour, les réseaux de correspondance, les salons, les revues, les maisons d’édition, les académies et les associations professionnelles d’écrivains sont abordés. Cependant, l’état des connaissances sur ces types de sociabilité ou sur les cas étudiés varie considérablement. Une étude tout à fait prospective peut ainsi jouxter un chapitre synthétisant des recherches de longue haleine. Cela était sans doute inévitable, étant donné la nouveauté de certains objets, mais donne à une ou deux reprises l’impression …