Avec ce livre de Denise Girard, qui se place dans le cadre du programme de l’Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP), nous plongeons dans une partie de l’histoire du Québec qui demeure peu explorée : celle des rituels des mariages urbains dans la société franco-canadienne des années 1920-1930. Maîtrisant un langage captivant, qui mêle la narration descriptive et l’analyse académique, Denise Girard nous ouvre les portes d’un monde encore proche pourtant déjà oublié, dans lequel nous entrons comme des voyeurs de l’histoire. Si son but, celui de « dresser un tableau complet et approfondi des rituels du mariage pour en faire ressortir les différences de classes » (p. 18) n’est pas toujours atteint, étant donné les limites propres à la méthode (enquête ethnologique auprès d’un groupe restreint) – limites reconnues, d’ailleurs, par l’auteure elle-même –, cet ouvrage inaugure sans doute des voies inédites pour des études et des analyses plus approfondies sur le phénomène. Prenant comme sujets les Montréalais francophones mariés dans les décennies 1920 et 1930, l’auteure se propose de montrer que la diversité de ces mariages urbains est « calquée sur l’organisation sociale elle-même » (p. 16) et peut donc servir de repère culturel pour l’analyse des différences entre les classes sociales. Pour ce faire, elle a procédé à des entretiens semi-directifs auprès des couples ou de l’un des deux mariés, afin d’appréhender les rituels entourant le mariage, divisés en rencontre initiale, fréquentations, fiançailles, mariage (préparation, cérémonie, noce), voyage et nuit de noces, puis réinsertion sociale du jeune couple. Les critères du choix du couple prévoyaient que les deux conjoints soient nés à Montréal ou y soient arrivés très tôt (y ayant passé leur jeunesse), soient tous les deux d’ascendance franco-canadienne et que le mariage religieux ait eu lieu sur l’île de Montréal. Ces critères servaient à garantir une certaine homogénéité du groupe de telle manière que les différences observées puissent être rapportées aux classes sociales – définies comme « bourgeoisie », « classe moyenne » et « ouvriers ». Dans son introduction, Denise Girard prend le soin de situer sa recherche, en définissant son univers aussi bien que la méthode ethnologique employée. Elle le fait de façon précise et en en discutant les limites. L’oeuvre se divise ensuite en deux parties : la première comprend trois chapitres, qui traitent respectivement des rituels concernant les fréquentations, le mariage et la réinsertion sociale, sur la foi des informations fournies par les sujets ; la deuxième présente l’analyse comparative des « significations totalisantes » des histoires recueillies dans le but d’en faire ressortir les différences de classes. Le premier chapitre aborde, pour chacune des trois classes sociales, la période allant de la rencontre initiale jusqu’au mariage. On apprend qu’un rituel spécifique de la bourgeoisie urbaine – « faire ses débuts » – marquait l’entrée de la jeune fille sur la scène sociale. C’était pour elle une période remplie de réunions mondaines, de réceptions, de dîners, de thés, de bals. Cette période n’existait pas dans la vie sociale des classes moyenne et ouvrière. Pour les jeunes filles de ces classes-ci, la vie adulte commençait soit avec la fin des études (dans la classe moyenne, les jeunes filles aidaient alors leurs mères dans les travaux domestiques), soit avec l’accès au marché du travail (dans la classe ouvrière, le salaire des jeunes filles contribuait à la survie économique de la famille). C’est aussi dans la classe moyenne que l’on a observé un écart d’environ deux ans par rapport aux autres classes sociales pour ce qui concerne l’âge de la première rencontre, ce que l’auteure explique par le fait que les lieux …