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Ce livre de Marcien Ferland, ethnologue et folkloriste réputé, est aussi celui de Auguste Vermette, neveu de Louis Riel. Comme l’indique le sous-titre, l’ouvrage présente l’histoire des Métis de l’Ouest racontée par un de ses enfants, Auguste Vermette. Les témoignages que l’on retrouve dans ce livre ont d’abord été recueillis par M. Ferland, de 1985 à 1986, en vue d’être publiés dans l’hebdomadaire franco-manitobain, La liberté. L’auteur a ensuite décidé de les regrouper sous la forme d’un livre en hommage à son informateur et au peuple métis.
Le livre se divise en trois parties. La première porte sur « la vie au jour le jour au temps de la Prairie ». On y apprend une foule de détails sur la vie des Métis, sur leur façon de s’habiller, de se nourrir, de voir à leur hygiène, à la construction des maisons, de gérer les fréquentations et les mariages. Les sages-femmes occupent une place d’honneur dans cet ouvrage.
La deuxième partie du livre porte sur le temps des grandes chasses. Notre informateur nous fait carrément revivre les expéditions des Métis dans la Prairie, au moment de la chasse au bison. Il raconte les détails de la préparation et de l’organisation du voyage. Il explique, notamment les règles de conduite à suivre avant le départ, pendant le voyage et les défis que les hommes avaient à relever une fois la chasse commencée. Rien ne semblait plus important et excitant pour un Métis que d’aller chasser le bison.
La troisième partie présente l’histoire de la Rivière-Rouge. Telle que racontée par A. Vermette, cette histoire prend une tout autre allure que celle présentée dans les ouvrages savants. Sa source principale est le souvenir de son père, Toussaint Vermette. Or, selon A. Vermette, son père ne lui racontait que des bouts d’histoire. Pour cette raison, il a décidé de tout rapiécer et de tisser sa propre trame historique, son propre récit de l’histoire de son peuple. L’esprit vif, il rappelle le moment déclencheur des Rébellions, lorsque les Métis ont eu à faire face au rêve de John A. Macdonald incarné par la présence de ses arpenteurs unilingues anglais sur leurs terres. Ces derniers étaient venus mesurer les terres le long des lots de rivières afin de les diviser en carrés. Les gens, habitués à vivre le long des rivières, ont eu très peur à la vue des arpenteurs. Ils ont craint également d’être parqués dans des réserves, comme les Indiens. Ils ont cru, avec raison, qu’ils allaient perdre leurs terres, d’autant plus que les arpenteurs refusaient de leur parler.
Selon Vermette, le premier à aider les Métis à se défendre contre les fonctionnaires du gouvernement canadien a été Mgr Ritchot, le seul, selon lui, qui comprenait leurs revendications. Mais c’est Louis Riel, un Irlandais, dont le nom était d’abord O’Rielly, qui a pris la situation en main afin de repousser les arpenteurs. Nous connaissons bien la suite de l’histoire. Vermette nous l’a transmise à nouveau mais avec les particularités du quotidien que peuvent souvent oublier ou négliger les ouvrages savants. Ainsi, il raconte, dans le détail, les rivalités entre les familles métis au moment des Rébellions, l’absence de solidarité entre les Métis et les Canadiens français, mais la solidarité entre les Métis et les colons écossais de Selkirk, situés dans le nord du Manitoba, que les Orangistes ont pourtant tenté de rallier à leur cause. Pour le lecteur francophone, l’absence de reconnaissance des Métis par les Canadiens français de l’époque peut surprendre. Habitués à associer la lutte pour la survie du français dans l’Ouest à celle des Canadiens français, Vermette explique que ceux-ci ne comprenaient pas l’importance des luttes des Métis. Ce n’est que plus tard et peut-être trop tard qu’ils ont appuyé ces derniers et qu’ils se sont rapprochés d’eux. Or, à lire le dernier ouvrage de Jean Morisset et de Éric Waddell, Amériques, on voit que les francophones n’ont toujours pas assumé la part métisse de leur culture.
Notre informateur insiste pour dire que Riel n’était pas un fou ou un illuminé, une interprétation que certains historiens comme Thomas Flanagan ont tenté de faire valoir à plusieurs reprises. Vermette rappelle sans ambages que Riel était un héros, un fondateur, terme qui n’est pas sans faire réfléchir à la notion de fondation dans l’histoire du Canada. Louis Riel a été le leader d’une des premières luttes pour le respect des droits collectifs au Canada depuis 1867. Il a tenté de re-fonder le Canada en fonction du principe de la liberté des peuples. Selon Vermette, « Ils onvaient le droit ! ils onvaient raison ! »
Vermette est décédé en 1986 à l’âge de 95 ans et 5 mois. Pour sa fille Augustine Abraham, « [i]l nous a légé la fierté de ce que nous sommes : métis de langue française, descendants de la race indienne » (p. xxiii).
Le lecteur prendra plaisir à lire ce livre qui donne le goût de se replonger dans cette période de l’histoire du Canada. Il sera forcément touché par le témoignage de Vermette et possiblement bouleversé par ses réflexions. Force est également de constater que nous connaissons très peu l’histoire des Métis telle que racontée par ces derniers survivants. Celle qu’on a transmise a été véhiculée comme un moment de l’histoire des Canadiens français sans que l’on nous explique qui étaient véritablement les Métis. Le livre de M. Ferland oblige à prendre conscience que nous avons encore des enseignements à tirer de cette histoire des peuples métis, comme un cas de figure de l’histoire des peuples. Ainsi, il constitue un complément aux ouvrages d’histoire du peuple métis.