Le titre du livre de Karen Messing est évocateur : La santé des travailleuses. La science est-elle aveugle ? À cette question fort pertinente elle répond, avec ses vingt-cinq années d’expérience de recherche en santé au travail, que la science n’est pas totalement aveugle mais qu’elle manque de curiosité, qu’elle est souvent peureuse, que les chercheurs sont imprégnés des préjugés de leur époque, de leur classe, de leur race et de leur sexe et, enfin, qu’il faut s’interroger sur sa neutralité face aux intérêts financiers. Comment en arrive-t-elle à ce constat troublant ? Les statistiques montrent que les femmes travaillent dans des milieux différents de ceux des hommes, que leurs conditions d’emplois (salaire, horaire, durée des contrats) et la nature de leurs tâches diffèrent également. À titre d’exemple, mentionnons que les femmes sont concentrées dans les secteurs des services qui présentent des exigences de travail particulières (position stationnaire, moins grande autonomie, gestes répétitifs, habiletés relationnelles, etc.). Comme les exigences du travail induisent directement les risques, les problèmes de santé des femmes au travail sont ainsi différents de ceux des hommes. Celles-ci souffrent davantage de maladies professionnelles reconnues que les hommes, mais subissent moins d’accidents. On ne peut nier le fait que la taille de la femme moyenne est plus petite que celle de l’homme moyen et qu’il existe des différences pour ce qui est du poids et de la force physique. Cependant, plusieurs études montrent que certaines tâches traditionnellement féminines sont passablement exigeantes physiquement ; pensons notamment aux tâches très répétitives et au fait de travailler longtemps debout. Ces tâches conduisent à une augmentation des troubles musculo-squelettiques et de santé mentale, qui sont les principaux problèmes de santé des femmes au travail. Un autre volet de la réflexion assez novateur a trait aux chercheurs, aux processus de recherche de même qu’aux règles de financement. Bien que les femmes constituent près de la moitié de la population active, la recherche concernant leur santé est sous-financée. Pourquoi ? Une première hypothèse d’explication touche la culture scientifique qui est essentiellement masculine et éloignée du milieu ouvrier. De plus, les femmes ne représentent que 15 % de la main-d’oeuvre des groupes I et II qui sont considérés comme des secteurs prioritaires au Québec (forêt, mine, BTP, etc.), elles travaillent souvent dans des milieux plus restreints et, surtout, dans des milieux induisant des risques différents pour la santé et pour lesquels la reconnaissance de l’origine professionnelle est plus difficile à démontrer. Des motifs financiers liés au fait que l’indemnisation et la prévention de nouvelles maladies et de nouveaux problèmes de santé coûtent cher pourraient également jouer un rôle dans ce refus. En outre, dans les milieux de la recherche, il existe un assez large consensus selon lequel les problèmes de santé particuliers des femmes, soit les troubles musculo-squelettiques et les stresseurs émotionnels (monotonie, contraintes temporelles, violence, etc.), sont complexes à étudier ce qui pourrait également expliquer le sous-financement. En effet, il est souvent difficile d’identifier, selon le modèle de la recherche classique, des causes précises pour ceux-ci ; ces problèmes de santé sont liés à des facteurs complexes et multiples et, de plus, chacun de ces facteurs pris isolément ne semble pas particulièrement critique pour expliquer les symptômes. En ce qui a trait aux stresseurs, la recherche de leurs effets sur la santé est difficile car leur impact dans la vie personnelle peut amplifier celui des stresseurs au travail sans qu’un seul d’entre eux ne paraisse clairement responsable des symptômes. De plus, les symptômes eux-mêmes sont variés et difficiles à relier aux stresseurs. En outre, les problèmes de santé des femmes sont liés aux types …
Karen Messing, La santé des travailleuses. La science est-elle aveugle ?, Montréal, Éditions du Remue-Ménage, Octarès, 2000, 305 p.[Record]
…more information
Esther Cloutier
Institut de recherche en santé et sécurité au travail.