Le titre de ce livre pose une question fondamentale à toute personne préoccupée par le recul de la gauche en Occident depuis une douzaine d’années. Avec la disparition de l’Union soviétique et de ses satellites, le retrait du marxisme hors des grands courants de pensée et la propension des gouvernements sociaux-démocrates ou socialistes à embrasser les idéaux du néo-libéralisme, il importe de caractériser l’orientation récente des courants progressistes. Jacques Pelletier a eu l’occasion d’exprimer ses inquiétudes sur ce sujet dans la presse quotidienne, et notamment dans Le Devoir. C’est donc avec beaucoup d’intérêt que nous avons entrepris la lecture de ce livre. Son auteur n’allait-il pas y approfondir ses thèses ? Malheureusement, ce n’est pas ce qu’a fait Jacques Pelletier. À la place du mûrissement attendu, il nous a resservi, avec de minimes modifications, ses essais journalistiques, entremêlés à des études littéraires ou d’histoire intellectuelle qui, elles aussi, ont toutes été publiées ailleurs, encore que l’auteur ne le précise pas toujours. L’ensemble de ces textes est présenté sous la forme de huit chapitres précédés d’un court avant-propos qui s’ouvre avec la question suivante : « La gauche québécoise est-elle la plus bête du monde ? » (p. 9). Pelletier cherche en fait à expliquer pourquoi cette gauche, qu’il veut à la fois socialiste et indépendantiste (p. 15), demeure constamment marginale au Québec. C’est dans le premier chapitre que l’auteur réfléchit sur les déboires des idées progressistes de ce côté-ci de l’Outaouais. Après avoir rappelé les moments forts de l’extrême gauche au Québec, dans les années 1970, puis les divisions internes qui l’anémièrent, Pelletier voit dans le Rassemblement pour une alternative politique (RAP) une possibilité de résurrection. Toutefois, un choix s’impose : faut-il faire du RAP un parti politique en bonne et due forme ou un mouvement d’éducation du peuple et d’action directe ? S’il respecte les arguments en faveur de la seconde solution, l’auteur opte néanmoins pour la formation d’un parti, question de combler le vide laissé par le Parti québécois au fur et à mesure de son éloignement de la gauche (p. 31-32). Plutôt que de se complaire dans un comportement groupusculaire, la gauche québécoise doit s’imposer une « révolution des mentalités » (p. 39) et se rapprocher de la population (p. 41). Telles sont les idées de l’auteur pour assurer l’avenir de la gauche. Dans les autres chapitres, il aborde des sujets d’une tout autre nature. Tantôt il critique certains de ses contemporains : Gilles Paquet, qui rejette les acquis de la Révolution tranquille (chapitre 2) ; Michel Seymour et le mouvement des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), John Saul, Jacques Godbout et Richard Martineau, tous insuffisamment ou faussement à gauche, et dénués d’une véritable conviction indépendantiste (chapitre 7). Tantôt il fait l’éloge de l’intellectuel engagé (chapitre 3), ou il dénonce le fonctionnalisme universitaire qui discrédite l’enseignement au profit de la recherche (chapitre 4). Et tantôt, il examine la production littéraire et les positions idéologiques d’intellectuels comme André Laurendeau, tel qu’elles s’exprimaient, c’est-à-dire difficilement, dans ses oeuvres de fiction (chapitre 5) ; Pierre Vallières, en quête, d’une utopie à l’autre, d’un Québec impossible (chapitre 6) ; et Hermann Broch, qui exposait la lente décomposition de l’Occident sous l’action dissolvante de l’individualisme et de l’utilitarisme (chapitre 8). Bien que certains chapitres ne manquent pas d’intérêt (et notamment ceux consacrés à Laurendeau et à Vallières), et bien que certaines propositions méritent réflexion (en particulier celles évoquées dans le chapitre 4 sur les tâches de l’universitaire), force est de s’interroger sur les raisons ayant motivé Jacques Pelletier à publier le présent recueil. Les réponses qu’il suggère à la question de …
Jacques Pelletier, La gauche a-t-elle un avenir ? Écrits à contre-courant, Québec, Éditions Nota bene, 2000, 242 p. (Interventions.)[Record]
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Pierre Lanthier
Département des sciences humaines,
Université du Québec à Trois-Rivières.